lunes, 21 de septiembre de 2015

Manger à la sauce sexiste Michael Singleton

Manger à la sauce sexiste
Michael Singleton
Professeur émérite, Université Catholique de Louvain
Couriel : singleton@demo.ucl.ac.be

Le dernier numéro du Journal fut un vrai régal.  En mâle habitué de longue date à se mettre à table plutôt que de préparer ce qui s’y met, je n’avais jamais pensé à ce point que des pratiques alimentaires pourraient faire partie des panoplies respectives des sexes en guerre larvée ou ouverte.   Gavé de données inédites, je ne suis pas resté sur ma faim.  Néanmoins certaines préparations m’ont paru trop salées, du moins à mon goût.  Se trouver membre du comité scientifique n’est pas synonyme d’être rapporteur pour un Michelin anthropologique !  C’est donc par pure sympathie et sur fond d’une appréciation plus que positive des mets servis que j’offre ici des digestifs maison qui pourraient aider à avaler des affirmations parfois quelque peu analytiquement trop abruptes et apodictiques. 
Un premier constat: puisqu’il y a lieu de bâtir plutôt que de revenir sur des acquis académiques et de s’attaquer à des problématiques négligées par ses prédécesseurs, il y a de bonnes raisons de ne renvoyer massivement qu’à des travaux de la fin du siècle passé et du début du présent.  Pourtant les absents n’ont pas toujours tort. A l’instar des Immortels du « Dream-world » aborigène qui veillaient en permanence à l’usage que les vivants faisaient de leur grain, les ombres de Tylor et Frazer, Weber et Durkheim planaient encore au-dessus de l’Institut où j’ai fait de l’Anthropologie Sociale à Oxford dans les années 1960.  Il fallait parcourir entièrement leurs œuvres, là où en fin de carrière j’avais du mal à en faire lire même de modestes morceaux choisis.  Je ne me vois pas en laudator inconditionnel des temps (de)passés ni en apôtre d’un culte fidéiste de nos ancêtres. Néanmoins, il me semble entre autres que  Lévi-Strauss, dans ses Mythologiques avait apporté de quoi nourrir des réflexions sur le manger interculturel et qu’au moins la lecture de Mary Douglas (1966) sinon des classiques sur le tabou, aurait pu alimenter la discussion autour des interdits alimentaires. 
Ensuite puisqu’il ne peut pas y avoir en aval une anthropologie de terrain sans une anthropo-logique théorique en amont, l’anthropologue de métier a intérêt à expliciter la logique humaine qui l’anime.  Or en lisant non seulement entre les lignes mais à la linge des textes de ce numéro j’ai retenu, peut-être à tort, l’impression d’une vision de l’homme non seulement à base de choix rationnels et conscients (p.214), mais des plus délibérément et méchamment machiavéliques.  Puisqu’on ne fourbit pas ses armes sans avoir en vue une guerre à gagner, il était sans doute inévitable que la stratégie du manger sexiste apparaisse à ses adversaires comme émanant d’un PC aussi viril que virulent.  Les hommes qui avaient réussi à gagner pignon sur rue, afin de consolider des pouvoirs et des privilèges qu’ils savaient pertinemment bien injustement usurpés et objectivement non justifiés, se seraient concertés à un moment donné en vue de l’élaboration et de l’établissement d’un système alimentaire préjudiciable à ceux (les jeunes) et surtout à celles (les mères) qui, en principe, non seulement méritaient mieux mais avaient réellement besoin d’une structuration plus équitable sinon absolument égalitaire de l’alimentation. Il est question (pp.136sq) des mâles dominants cherchant à s’assurer la mainmise sur des marginalisées subalternes par l’imposition impérieuse de tabous alimentaires dont le caractère arbitraire voile à peine la volonté d’exercer une « violence inouïe ».  Remarquons que Mungo Park (1896 : 73) y avait déjà pensé en 1795, bien avant donc que Freud, Jung et autres Eliade aillent y ajouter leurs grains de sel sexuels individuellement ou collectivement inconscients et cosmiques. Lors de son passage dans un bled sur le haut Sénégal, l’explorateur écossais suppose que l’interdiction qui y était faite aux femmes de manger des œufs et qu’elles avaient intériorisée à fond aurait pu avoir été le fait d’un vieux musulman voulant se réserver en exclusivité ce mets dont il était friand !   Bien que saisissant, ce genre de raccourci, plutôt que de relever d’abrégés académiques renvoie à des épitomés mythiques – entre autres celui des mâles à peine humains qui in illo tempore auraient volé le feu avec lequel des femmes déjà civilisées cuisinaient!  A l’apôtre d’antan qui, au nom d’un Dieu surnaturel, condamnait sans appel le féticheur suppôt de Satan semble succéder aujourd’hui l’anthropologue qui, au nom du Destin naturel, incrimine irrémédiablement le patriarche machiste.
S’il faut (dato non concesso !) absolument donner une explication anthropologique à des pratiques alimentaires qui privilégient les mâles, le Darwin de la Filiation de l’Homme (1871) pourrait faire l’affaire puisque l’évolution a fait provisoirement en sorte que le « breadwinner » soit aussi un « bedwinner » !  Sous sa forme sexuelle, le processus de sélection naturelle a produit le beau (mâle) qui se reproduit avec la plus belle des femelles, induisant ainsi au moins indirectement et involontairement des effets bénéfiques pour la survie collective[1].  Que les meilleurs morceaux soient réservés aux hommes dominants pourrait être un écho « vestigial » (on sait à quel point ce concept fut clef dans l’histoire de l’approche anthropologique) du fait que les plus adaptés en termes d’armes offensives et défensives étaient aussi les plus aptes à assurer une descendance saine.  Mais la lutte évolutive continue.  Que la Culture ait commencé et continue à renverser l’ordre établi par la Nature pourrait signifier dès maintenant la fin de recréation pour les hommes et sinon le désarmement tout court, du moins le réarmement des femmes.  Car ce qu’il y a de juste dans le titre de ce numéro est le constat fait par  Claude Lefort que sans conflit rien de bien significatif ne peut se faire.  De toute manière, si Hegel n’a pas tort, la raison d’être de l’Histoire culturelle qui a pris la relève de la naturelle serait autrement plus rusée que la roublardise invoquée par les mâles indument dominants pour défendre leur bifteck. 
En attendant la fin des hostilités sinon le triomphe du deuxième sexe, la guerre alimentaire entre les sexes ne se faisant pas à armes égales, des anciens[2] aussi bien que des nouveaux combattants ne peuvent que regretter un tas de dégâts collatéraux plus que symboliques que la belligérance produit : de la malnutrition des faibles qui, comme les femmes enceintes (p.207)  auraient plus besoin que les forts d’une quantité qualitativement saine de nourriture, à l’incapacité des vieux de cuisiner pour eux-mêmes ou pour leurs compagnes handicapées (p.113sq), en passant par le yoyo diététique imposé à des femmes occidentales complexées par un imaginaire vestimentaire de sveltesse sexy (p.213sq).  Cette guerre aurait commencé avec le premier homme qui, en cassant le premier caillou pour casser la figure d’autres vivants, est devenu chasseur, reléguant ainsi les femmes à la cueillette et à la cuisine (p.25sq).  L’émergence d’Amazones du gabarit d’une Thatcher ou d’une Merkel et l’entrée des femmes à l’armée, en faisant manger à tout le monde la même rata de campagne, pourrait ne marquer qu’une trêve. 
Ce vocabulaire belligérant me situe sous le même paradigme polémique que les auteur(e)s.  Il n’est pas sûr, loin s’en faut, que les peuples foncièrement pacifiques dont font état les contributions au volume édité par (Montagu 1978) pour prendre le contre-pied de la thèse d’une humanité congénitalement violente, auraient spontanément associé des pratiques alimentaires d’ordre asymétrique à une agressivité agonique.  Mais même des cultures qui ont choisi de rendre le conflit primordial devraient envisager l’éventualité d’une suite incessante de victoires à la Pyrrhus. Les dominants ont l’art d’abandonner aux dominées des positions devenues intenables.  Au moment où mes parents prolétaires ont enfin pu manger du pain blanc, santé oblige, l’élite s’est remise à consommer du pain noir. Les femmes risquent de devenir prêtres et pugilistes, capitalistes et commandants puisque les hommes progressistes ne veulent plus entendre parler de sacerdoce et de boxe et ne parlent que de décroissance et de paix.    De toute façon,  l’espèce ayant encore pour trois millions d’années (peu importe le chiffre exact quand c’est la longueur de la durée qui est cruciale), il est permis de rêver bien au-delà d’un manger sexuellement équivalent à une égalisation biologique qui viendrait à bout des inégalités physiologiques à l’origine de l’actuelle dichotomie entre maternités porteuses et paternités tout au plus couveuses ou de la différence entre des vieux décrépits et des jeunes vigoureux.  Il reste que dans l’immédiat, la réduction des inégalités à un point zéro idéalisé (quoique idéalement équivoque) doit malheureusement (ou heureusement ?) tenir compte de la distinction aussi bien des sexes que des âges présentement en cours évolutif.   
Loin de moi l’idée de préconiser le maintien du statu quo en matière de manger sexiste.  Ayant plaidé ailleurs pour une anthropologie libératrice, toujours impliquée et à l’occasion indignée, ce n’est pas maintenant que je vais faire l’apologie d’une neutralité experte en amont de tout engagement non seulement éthique mais éventuellement enragé (Singleton, 2002, 2011a, 2011b).  Néanmoins, il faut bien reconnaître que tout militantisme porte manichéisme et qu’avant de jeter de l’huile sur un feu l’anthropologue se doit de savoir pourquoi il fut allumé et entretenu.  Missionnaire, à l’instar de St Georges, je m’imaginais mandaté par le Bon Dieu pour combattre le Mal diabolique jusqu’au finish.  Mais l’Afrique m’a appris que l’Autre, le Dragon, les esprits ancestraux, font figure et fonctionnent comme des interlocuteurs, certes intéressés mais tout aussi bons que malfaisants.  Par conséquent, dans cette complexité irréductible du vécu dont parle Morin, ni absolument dominant ni complètement dominé.  Jeune et apprenti occasionnel auprès de mon grand-père maternel, croque-mort de son état, je me suis demandé pourquoi lui avait droit à son bifteck quotidien quand moi et ma grand-mère devions-nous se contenter de saucisses (à l’anglaise en plus !). Ce n’est que beaucoup plus tard, à la fin des années 1960 chez « mes » Wakonongo de la Tanzanie profonde, que je me suis rendu compte qu’en l’absence de toute sécurité sociale étatisée ou mutualisée, la famille prolétaire ou paysanne avait tout intérêt, au bas mot darwinien[3], de bien nourrir son « breadwinner » ou gagne-pain.  C’est en partie du moins de cette évidence obvie et non seulement des « croyances (idéologies et mythes)[4]» (p.194) que relève me semble-t-il « le modèle de partage » alimentaire, tout biaisé qu’il soit en faveur des hommes (ibid.,).  Cultivant sur brûlis, les WaKonongo n’auraient pas pu en sortir vivants sans la force musculaire des bras masculins.  Même les viragos du cru n’auraient pas pu abattre les arbres au milieu des nuées de tsétsé et avec des immenses houes cogner la terre de la friche toujours pleine de racines.
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Je ne vais pas refaire ici une ethnographie du manger konongo que de toute façon je n’ai jamais expressément faite. Encore moins voudrais-je ajouter un chapitre à des bouquins qui, comme celui de Bayart (1989), montre comme le manger africain évoque, en plus du pouvoir dévorateur, l’anthropophagie sorcière et le cannibalisme tout court (aussi bien celui du Blanc que celui du Noir).  Mais en réfléchissant sur mon vécu, il me parait représenter le genre de cas contraire qui, comme une épingle, menace toute généralisation gonflée.  Dans un premier temps, on me faisait manger à part à la manière des chefs d’antan.  Comme au Cameroun (pp.136sq) on me servait des gésiers.  Personnellement je trouvais ce mets de choix réservé aux notables répugnant – à cause alors, insinuerait le freudien, de mon état de célibataire non pas endurci mais consacré qui m’interdisait la sexualité tout court et non seulement le cunnilingus symbolique.  Cette insinuation paraîtrait peu plausible aux Africains que j’ai connus puisqu’ils associaient sexualité et manger explicitement et non pas par symbole inconsciemment interposé (Singleton, 1997)).  Ayant finalement réussi à imposer ma présence lors des repas pris en commun par les membres de la famille de mon hôte, Jakobo Kasalama, j’ai fait une série de découvertes qui m’ont amené à penser qu’un messie konongo, à l’encontre du palestinien que fut Jésus,  aurait suggéré que si on tenait à se souvenir de lui, que ce soit en faisant un sacrement du palabre plutôt que du banquet. 
Si elles avaient eu à choisir, les femmes konongo auraient préféré un numéro sur l’« empowerment » en paroles plutôt qu’en bonne chère.  De toute manière, on se tromperait aussi bien onto-épistémologiquement qu’ethnologiquement en abordant le manger konongo comme une variation culturelle ou accidentelle sur une réalité substantiellement transculturelle.  En gros, le fait que les Belges mangent des frites là où les Italiens consomment des spaghettis n’entame pas la réalité générale d’un manger culturel à l’européenne.  Mais l’ugali (ou polenta) qui remplaçait chez les WaKonongo nos patates et pâtes ne réduit pas leur manger à n’être qu’une manifestation locale d’un besoin naturel.  Car en tant que fait culturel (le seul qui, en définitive, devrait intéresser un anthropologue) le manger konongo n’avait en commun avec mon manger occidental que la nécessité biologique de s’alimenter.  Non seulement les fils de Jakobo, accompagnés de leurs propres enfants mangeaient la plupart du temps avec leur père, mais quand il leur arrivait de manger chez eux, ce n’était jamais avec leurs femmes.  Nous mangions vite et en silence la nourriture que les épouses nous apportaient dans le banza (un abri rudimentaire – tout ce qui restait de la Maison des Hommes d’antan).  Car l’auvent étant ouvert à tous les vents si on trainait la polenta se refroidissait rapidement et se remplissait de poussière.  Aucune festivité, aucun rite de passage n’était marqué par des agapes relevées.  Ce n’est pas que nous mangions mal ou que des passants n’étaient pas invités à nous rejoindre. Mangeant dehors à proximité de cases sans palissades et près des sentiers, tout le monde qui passait était salué par un karibu chakula (« viens manger un bout »). C’est tout simplement que chez les WaKonongo « convivialité » ne rimant pas avec « commensalité », l’alimentation ne figurait pas comme un arme de choix dans la panoplie du genre. Si les jeunes (en gros âgés de sept à douze ans) soupaient à tous les râteliers tout en y picorant peu, c’est qu’ils avaient souvent déjà attrapé et grillé en brousse des petits rongeurs et des oiseaux ou maraudé des arachides et du manioc dans les champs. 
Les femmes konongo ne dépérissaient pas à vue d’œil et survvaient souvent plus longtemps que leurs maris. J’ai du mal à croire qu’elles avaient intériorisé un imaginaire qui aurait dû leur paraître terroriste.  Il se peut qu’il y ait des cultures où les femmes non seulement n’osent pas mais ne pensent même pas à se servir d’abord (avec leurs petits enfants) avant d’apporter à des mâles fainéants les plats qu’elles ont préparés seules et à la sueur de leur front.  Les femmes qui figurent sur mes diapositives sont toutes bien en chair sans être obèses.   Personne chez les WaKonongo qui ressemblait à ces grosses mamma que j’allais croiser lors de mes enquêtes au Nigeria (1973) ou même au Congo (1986).  Par contre, en Ethiopie (1976) même les femmes non affamées me paraissaient à la limite de l’anorexie. 
Leurs hommes les aimant plutôt grassouillettes, il ne serait jamais venu à l’esprit d’une femme konongo de se farcir cette pratique inégalitaire (p.213sq) que le régime amaigrissant représente chez nous.  Ne portant que des pagnes, elles n’avaient pas à regretter de ne plus pouvoir « rentrer dans une taille 36 » (p.235sq).  Mes voisines konongo auraient trouvé tout aussi grotesque que moi-même le gavage des filles nubiles chez les Maures, que j’ai encore connu au nord du Sénégal dans les années 1985. Un gynécologue expatrié nous a même rapporté  que cherchant l’origine de l’odeur pestilentielle qui émanait d’une jeune patiente maure, il avait trouvé le cadavre pourri d’une souris dans un des plis de son ventre !  Les adolescentes konongo étaient coquettes et leurs mamans passaient des heures à se faire tresser les cheveux.  Les rapports entre les sexes étaient plus distendus que tendus.  Mes efforts pour rapprocher les jeunes en vue de la formation de couples et de familles que j’imaginais chrétiens quand ils n’étaient que ceux de la petite bourgeoisie (nord)européenne n’ayant rien donné, je me suis dit que leurs mondes étant à ce point à part, les femmes konongo s’embellissaient tout simplement pour elles-mêmes et non pas pour leurs mecs ou leurs maris (comme c’est le cas de pas mal de femmes modernes en dépit de leurs protestations du contraire).
Un seul parmi les jeunes couples du voisinage mangeait ensemble. Lui s’appelait Protasi, elle Sinfrosa.  Sans être en rien une virago, Sinfrosa savait se faire respecter.  Protasi par contre, tout en étant sympathique, était loin d’incarner l’idéal konongo de masculinité.  J’ai raconté ailleurs (1977) comment j’ai négocié un compromis historique avec l’esprit qui possédait Sinfrosa.  Son mari ne pouvant pas cette année-là fournir la robe annuelle implicitement incluse dans le contrat de mariage, j’ai persuadé le jini d’accepter moins en attendant.  Outrée, plus d’une féministe mise au parfum du cas a réagi en disant que si Sinfrosa s’était retrouvée dans une société plus sexuellement émancipée elle aurait pu et dû revendiquer son dû face à face. Mais tout en faisant honneur aux indignées en question, cette réaction ethnocentrique m’a toujours paru à côte de la plaque indigène.  Dépitées par leur mari, les femmes konongo pouvaient tout simplement rentrer chez elles… l’obligeant non seulement à quémander de la nourriture chez des voisins, mais à chercher de l’eau lui-même – la honte !  Malgré ou peut-être à cause d’un système de résidence viri- ou mieux patrilocal, plus d’une de mes connaissances, à l’instar de leurs sœurs Mongoles (p.177 citant Hamayon 1979) avait claqué la porte et ait retournée chez ses parents. 

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Si j’ai monté en épingle le cas konongo c’est qu’une aiguille, comme Evans-Pritchard confronté à mes envolées totalitaires se plaisait à me le rappeler, suffit pour dégonfler une théorie globalisante. Tout n’est pas don et la structure n’explique pas tout. Et les rapports homme/femme chez les WaKonongo ne répondent pas à la seule grille Maître/Esclave. Les généralisations d’un féminisme primaire risquent d’escamoter la complexité interculturelle non pas d’une chimérique condition féminine, mais des conditions diversement faites aux femmes.  Puisque l’excision « ça » n’existe pas, du moins pas si par « ça » on entend une constante pour l’essentiel transculturellement identique, les anthropologues ont intérêt à parler de modifications ou à la limite des mutilations génitales.  En effet, certaines pratiques de circoncision peuvent être plus débilitantes que des formes d’excision plutôt symboliques (cf. les essais et témoignages édités par Zabus, 2008).  A fortiori doit-on envisager l’éventualité de cas où l’alimentation, plutôt que de fonctionner comme de l’artillerie lourde, ne serait qu’une arme factice.  Il serait intéressant par exemple de savoir si dans les foyers homosexuels en général et lesbiens en particulier, le manger se prête à une analyse en termes de dominant(e)/dominé(e).
Je ne sais pas où en sont actuellement les relations homme/femme chez les WaKonongo. Ce que je sais c’est que mon vécu konongo à la fin des années 1960 m’a fait comprendre non seulement l’ambiguïté de libérer les femmes pour qu’elles puissent faire exactement comme les hommes (notamment la guerre voire de l’anthropologie !), mais toute l’équivoque qu’il peut y avoir à conjuguer l’émancipation féminine au singulier.  C’est pourquoi, mais sans condescendance aucune, je ne peux qu’approuver les auteur(e)s qui s’attaquent à des stéréotypes spécifiques, sans doute factices mais aux conséquences fâcheuses, comme celui de la « femme méditerranéenne générique » (p.56).  Si la dichotomie entre Nature et Culture représente une exclusivité occidentale (Singleton, 2001 ; Descola, 2005) il serait hautement ethnocentrique de parler d’une Femme Eternelle (die ewige Frau) naturellement plus maternante que l’Homme.  La Pacha Mama foncière de l’Amérique latine n’était pas forcément plus portée sur la cuisine que la Déesse Mère de la Méditerranée ne le fut sur l’amour plutôt que la guerre. Les femmes inculturées en Europe et ailleurs dont ce numéro fait état ne peuvent en aucune manière anthropologique être alignées sur une Féminité archétypique comme autant d’avatars approximatifs – surtout quand l’apogée ainsi absolutisé, vu de près, ressemble à s’y méprendre à la vitesse orbitaire de la bourgeoise américaine.   Si l’approche psychanalytique a surtout marché pour la classe complexée de Vienne à la fin du XIXe siècle, on ne voit pas pourquoi il y aurait une pratique alimentaire qui conviendrait davantage à toutes les femmes du monde.  Puisque les anthropologues ne cessent de proclamer que chaque cas étudié est irréductiblement et irréversiblement un cas à part entière, un certain nominalisme casuistique constitue un des principaux piliers qui soutiennent leur plafond paradigmatique. 
Apôtre, je dois confesser (Singleton, 2015) m’être initialement imaginé mandaté par Dieu pour sauver l’Humanité. Désormais, devenu anthropologue, j’avoue tout au plus avoir pu aider des compagnes de route à cheminer plus allègrement. Echaudé par la faillite aussi bien de mes initiatives humanistes (un club mixte adolescents et adolescentes) que par mes ingérences humanitaires (consciemment ou inconsciemment des jeunes filles n’ont pas voulu être libérées de la « corvée » de l’eau que ma mécanisation rudimentaire du puits local projetait (Singleton 2010, chap. 1), j’ai cessé de proposer aux femmes konongo des projets de développement féminin.  Laissant à d’autres le soin de les occidentaliser par l’implantation d’écoles pour les filles, des maternités et même des micro-crédits, je me suis contenté non seulement d’observer mais même de participer activement à des procès de sorcellerie et des séances d’adorcisme des possédées.  C’est ainsi que j’ai pu libérer des vieilles accusées d’être des sorcières, réconcilier des épouses à leur sort polygame et émanciper des jeunes auxquelles leurs parents voulaient imposer des vieux fiancés fortunés. 
N’en déplaise aux fauteurs de slogans révolutionnaires, la Liberté  « ça » n’existe pas plus que la Fraternité ou l’Egalité. Plutôt qu’à une égalité entre frères et éventuellement sœurs, les WaKonongo auraient pensé spontanément à la responsabilité, entre autres parentale. De toute manière, concrètement on ne peut pas libérer les gens pour La Liberté mais seulement in situ, et donc de ce qu’on croit représenter de trop inauthentique et inféodant dans l’imaginaire et l’institutionnel de leur situation sociohistorique.   Il est permis à l’anthropologue comme au théologien de rêver à une libération qui rendrait tout le monde égal.  Mais en attendant, l’anthropologue de métier qui transformerait son idéal (utopique ou atopique… c’est selon) en grille d’analyse apodictique des situations qui ne peuvent qu’être sociohistoriquement spécifiques risque de compromettre la crédibilité concrète de ses considérations conclusives.  Mieux vaut émanciper des femmes de l’inféodation qui les aliène de « fait » idéologique et institutionnel que les libérer pour un imaginaire qui, à moins de l’identifier à de l’absolument (sur)naturel, ne peut qu’être à son tour un construit culturel.  C’est du moins la leçon que j’ai retenue de la lecture du Sexe relatif ou sexe absolu ? (Alès et Barraud, 2001) et qui voudrait que la domination n’est qu’une des formes de la distinction de sexe.  Le libérateur doit surtout prévoir de quoi asseoir la liberté trouvée ou retrouvée. De la même manière que la plupart des projets de développement font faillite puisqu’on n’avait prévu pas de moyens de suivi, que de libérations, y incluses celles des esclaves et des emprisonnés qui, dans un premier temps du moins, font regretter aux libérés l’époque où ils mangeaient à leur faim, même si c’était au service des Egyptiens Ex.14.12)! 
C’est de ce réalisme tactique que témoigne ma collaboration aux projets que les femmes konongo ont élaborés d’elles-mêmes sans attendre ceux proposés par la Coopération au Développement.  Dans la coopération interculturelle en général et dans la coopération intersexuelle et intergénérationnelle en particulier, les dominant(e)s tendent de bonne foi à faire preuve d’un impérialisme inavoué en proposant, quand ce n’est en imposant, leurs « œuvres » (opera) en lieu et place des projets que les dominé(e)s poursuivent déjà – peu importe que ce soit à l’insu de leur plein gré.  Plus rare encore est le fait que les Maîtres et les Esclaves renoncent à leurs intentionnalités identitaires pour collaborer ensemble à l’élaboration des projets d’un Projet inédit.
Loin de moi l’insinuation que les  auteur(e)s exagèrent en affirmant que la grille heuristique de l’alimentation les a aidés à « comprendre et appréhender les diverses dynamiques inégalitaires du genre dans les sociétés » (p.24)  qu’ils et elles ont eu à inventorier et à analyser.  C’est tout simplement que la même procédure d’épaississement empirique me fait hésiter à voir dans l’alimentation la partie émergée d’un diktat patriarcho-machiste qui structure en profondeur les rapports contemporains de genre aussi bien au Nord qu’au Sud (ibid.,).  Cette hésitation est due à ce que je vois comme le non-dit équivoque d’une égalité univoque qui remédierait universellement aux inégalités incriminées du genre. Désarmée, l’alimentation (re)deviendrait… quoi, justement ? Un manger transculturellement identique puisque pour l’essentiel sans discrimination aucune en dépit de ses colorations culturelles de surface – les frites en Belgique, le couscous au Maroc, l’ugali (polenta) en Tanzanie ? En établissant une dynamique égalitaire (ou en la rétablissant puisque certains primates continuent à la vivre), l’humanité tout entière éviterait-elle les effets pervers produits par les déséquilibres délétères des systèmes sexistes présentement en cours ?  Permettre à des femmes données de manger à l’égal des hommes qui partagent leur situation sociohistorique instaurerait-il à terme une paix des braves entre les deux sexes ?  L’égalité réalisée signalant enfin la naissance d’un genre tout simplement humain et la fin de la distinction, rendrait-elle des études du genre redondantes et Bourdieu au chômage ?  
L’anthropologue a-t-il à se préoccuper ainsi du long terme ? L’anthropologie a longtemps été non seulement rétrospective, mais rétrograde.   De mon vivant la polygamie et le polythéisme étaient encore jaugés sinon jugés à l’aune de la monogamie et du monothéisme victoriens.  Si avant de quitter l’Université Catholique de Louvain en 2004 j’y ai fondé un Laboratoire d’Anthropologie Prospective, c’est parce que désormais on ne peut guère étudier des phénomènes sans tenir compte des perspectives d’avenir.  En effet, qui parle d’inégalité sexiste ne peut le faire qu’au vu d’une égalité idéale qu’il y a intérêt à expliciter à court mais aussi à long terme.  En plus des femmes qui peuvent désormais se taper dessus sur un ring ou massacrer des taureaux dans une arène, il y a déjà des femmes capitaines de compagnie multinationales et à la tête des institutions du capitalisme international.  Les derniers bastions du pouvoir masculin, comme les écuries d’Ecclestone ou les séminaires du Pape François, sont assiégés par ceux et celles qui trouvent que l’« empowerment » égalitaire passe par le « conspicuous consumption » des voitures de course et la monopolisation du sacré par des corps cléricalement constitués.  Puisqu’on enlève l’utérus malade des femmes, pourquoi ne pas rendre la couvade réalité en en implantant des sains dans le sein des mâles, leur redonnant ainsi le pouvoir génésique usurpé in illo tempore seon les Papous, par les femmes ?  Des injections d’hormones leur ouvriraient la voie de cette lactatio agravidica (Guerci, 1994) qu’on a observée chez des ménopausées qui se sont remises à allaiter des petits.   Sortis du frigo en l’an 2.175,009, ceux qui ont pu se permettre le luxe d’une cryogénisation, risquent de tomber non pas comme un cheveu dans une soupe amazonienne, mais dans une civilisation où la distinction du sexe aura disparu avec la sexualité elle-même.  L’humanité ayant alors pris sérieusement en main son évolution bien au-delà de la seconde révolution darwinienne (Tort, 2020), l’appareil génital, faute de fonctionner, serait devenu tout aussi résiduel et redondant que le pelvis de la baleine.  Et puisque tout le monde vivant enfin comme les anges du Ciel mais sur Terre, plus besoin pour les uns de se marier pour se faire servir à table par les unes – à supposer qu’on s’attablera encore autant à la fin qu’au début de l’anthropogénèse.  Caricature cynique ?  Sans doute !  Mais il sied à ceux et à celles qui, en incriminant des inégalités (entre autres sexistes), projettent une Fin du Monde à toutes fins égales, nous disent plus clairement que les contributions à ce numéro à quoi une culture égalitaire pourrait bien ressembler… à moins de rétorquer avec St Paul que le Paradis retrouvé est inimaginable.
En attente de ce millénaire égalitariste, des interventions intempestives ont malheureusement tendance à produire le contraire de la libération!  Ainsi pas mal de « projets femmes » (dont celui de la culture des tomates par les ménagères béninoises (p.93sq), en dépit des bonnes intentions à leur origine, au lieu de les libérer les privent de temps libre et renforcent les stéréotypes de la mère dévouée et de l’épouse industrieuse.  L’« empowerment » économique des femmes, en plus d’être souvent un leurre (pour une villageoise qui réussit à rivaliser avec les matrones qui monopolisent les marchés urbains, 99 autres ne mettent que les orteils, et encore, sur la première marche de l’échelle financière), ne fait que confirmer l’économisme au cœur de l’occidentalisation du monde.  Puisque Jésus avait tout pouvoir en horreur (Ellul, 1974), même l’arrivée d’une papesse noire au Vatican n’aurait pas rendu la papauté moins anathème à ses yeux.  Qu’on ait une bonne femme au lieu d’un mauvais homme à la tête du FMI n’a pas rapproché davantage Davos de Porto Alegre - du moins de l’avis des altermondialistes.  Le développement étant foncièrement un phénomène de croissance économique, y impliquer davantage les femmes plutôt que de les engager dans la décroissance risque de ne  rien changer à une donne mondiale de plus en plus kamikaze.       
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Hors Culture, Hors Famille linguistique, Hors Plafond paradigmatique, Hors Horizon herméneutique  (c’est du pareil au même) il ne peut rien y avoir de facto.  « De fait » - c’est le cas épistémologique et étymologique de le dire.  Car loin d’être déjà objectivement là en dehors de tout point de vue subjectif, les faits, les facta de facere ou « faire » sont toujours, en définitive, des construits et donc des choix culturels.  Or  le fil conducteur qui relie les contributeurs de ce numéro est celui d’une option en faveur du fait de l’Homo aequalis contre l’optique du fait de l’Homo hierarchicus
Nous l’avons dit : pas d’anthropologie sans logique humaine, et il est sans doute plus facile de la faire quand l’humain s’identifie à deux plutôt que neuf éléments (Héritier, 1977) et surtout quand, symétrie sexuelle oblige, l’humain est, pour l’essentiel, un.  En tant qu’anthropologue je n’ai pas à consacrer une logique humaine à base d’une symétrie substantielle et encondamner d’autres foncièrement asymétriques. J’ai à faire état de leurs irréductibles complexités et à faire écho aux dires des plus intéressé(e)s avant d’en dire ce que je pense et surtout avant de leur faire dire ce qu’ils n’ont pas pu mais auraient dû en principe dire.  Parlons d’abord de cette dernière obligation.   Certes, puisque personne ne sait jamais exactement et entièrement ce qu’il a voulu dire (Polanyi, 1957) et puisqu’un interlocuteur peut mieux comprendre ce qu’un locuteur a voulu dire ou écrire (Gadamer, 1975), l’anthropologue n’est pas obligé de prendre à la lettre le dire d’autrui.  Néanmoins, avant de solliciter le pardon pour des informateurs qui ne savaient pas où ils voulaient ou auraient dû en venir faute de pouvoir plonger dans les profondeurs freudiennes ou d’invoquer des structures lévi-straussiennes, il y a lieu de chercher à comprendre et même à justifier leur parler explicite et leurs positionnements déclarés.  Quand, par exemple, des vieux WaKonongo m’ont raconté les larmes aux yeux comment lors de l’épidémie de la maladie du sommeil qui risquait de les emporter dans les années 1920, ils furent sauvés par l’acharnement dévoué d’un médecin colonial, le  Dr Maclean, au risque de sa vie et dans des conditions pénibles, qui suis-je, avec une noire américaine des plus marxisantes (Singleton, 1984), pour incriminer ce brave écossais de complicité objective avec l’impérialisme britannique et pour affliger les WaKonongo d’une naïveté primesautière aussi peu critique qu’aliénante ?  Après tout on peut soigner les blessés de guerre tout en croyant qu’il serait mieux de faire l’amour ou guérir les malades du travail tout en pensant que le travail lui-même est une maladie.  Quand ma meilleure moitié déclare préférer « spépier » (comme disent les Wallons) la « carcasse » du poulet (p.34) et laisser les cuisses et à la poitrine à d’autres ou me dit adorer « des produits lactovégétariens » (p.61) qui suis-je de nouveau pour la décourager de prendre pour une préférence proprement féminine (ibid.,) ce qui ne serait en fait qu’une mystification masculine ?  On peut toujours penser après coup que la perversité masculine finit par induire des effets imprévus mais bénéfiques : en mangeant moins de viande et beaucoup plus de légumes, l’espérance de vie de nos dépassent sensiblement la nôtre !  Mais n’y a-t-il pas lieu de penser d’abord qu’on peut tout simplement aimer cuisiner et faire de la couture gratuitement pour les siens et que ce vécu existentiel jouit d’une irréductible épaisseur phénoménologique qui l’excipe de sa réduction à un lavage masculin de cerveau féminin ?  Quand même Bataille (1965, 246) accepte que l’élan mystique n’est pas automatiquement de l’érotique sublimé, en profitant du dévouement conjugal fais-je autrement qu’encourager cyniquement une rationalisation qui me sert tout en desservant autrui ?  On peut trouver avec les auteur(e)s que la notion de « nature » étant gratuite, elle ne mérite que des guillemets en anthropologie (p.56, 78). Mais cela doit-il nous empêcher de penser que « cuisiner pour la famille » même s’il n’est pas « naturellement » gratifiant pour les femmes « du point de vue émotif et esthétique », pourrait l’être culturellement ?  Mes filles et belles-filles qui prennent manifestement plaisir à nourrir leurs bébés ne sont-elles que des pions manipulés à leur insu par des gênes égoïstes ? L’élan évolutif qui en culture humaine a transformé l’exclusion des faibles en l’inclusion de tous, ne fait-il pas émerger en continu des phénomènes inédits, dont l’amour et le dévouement, intrinsèquement  irréductibles à des questions d’un partage équitable du pouvoir de domination ?
Pour moi, la tâche primordiale de l’anthropologue consiste à redire autrement ce que ses interlocuteurs lui ont dit et fait comprendre à leur manière.   Tout discours supplémentaire faisant appel entre autres à l’inconscient ou à des structures et des fonctions est plus son affaire avec les siens que l’affaire des plus interéssé(e)s.  Tôt dans ma carrière je fus frappé par la sagesse tardive de Fei Hsiato-t’ung.  Ce vieux disciple chinois de Malinowski a fini par renoncer à faire du terrain chez ses compatriotes paysans, se contentant de cultiver la terre avec eux.  Car étant bien au courant « de leurs systèmes de parenté, coutumes matrimoniales et habitudes alimentaires », ce qui leur importait le plus était « améliorer leur qualité de vie » (Sanchez, Wong 1974 : 780).  Ce qu’un Général a pu déclarer à propos des indigènes de Québec n’est pas à la portée du simple anthropologue.  Il ne me serait jamais venu à l’esprit de proclamer à mes WaKonongo « Je vous ai compris ! » - surtout pas si cela voulait dire : « mieux même que vous ne vous êtes compris ».   Le fait de redire autrement ce que des interlocuteurs vous ont dit ne veut pas dire qu’on a mis le doigt sur un fin fond explicatif qu’ils ignoraient et donc n’auraient jamais pu exprimer. Reformuler dans un jargon académique des phénomènes qu’on a observés ou auxquels on a participé n’est pas en rendre foncièrement compte mais ajouter une généralisation de plus à un jeu de langage axé autour de généralités plus ou moins banales. Le poète qui voit les rayons de l’aube qu’il a vécue comme des doigts dorés, tout en étant à côté de la plaque d’une terre qui tourne autour du soleil, dit autant sinon plus que le prosateur scientifique. En disant que WaKamando, l’adorciste résidente de mes WaKonongo, fonctionnait comme une psychothérapeute de groupe et que les propositions des esprits libéraient les femmes du cru davantage que les propos des expatriées émancipées, je n’ai pas avancé plus loin vers la réalité quintessentielle des choses vécues ou ne suis pas descendu plus profondément dans la compréhension objective de la raison d’être de la possession : j’ai tout simplement cherché à me faire mes idées en la matière et à les faire (re)connaître par des gens qui se trouvent sur la même longueur d’onde que moi.  Sans nécessairement taire l’essentiel en se replongeant avec Fei dans l’existentiel, il ne faut pas trop s’éloigner des évidences empiriques, au risque de prendre des rêves analytiques pour la réalité du commun des mortels.  De l’inégalité vécue par la plupart des femmes enquêtées à l’inégalité conçue par des activistes anthropologiques il y a un pas que les premières n’ont pas toujours intérêt à franchir dans l’immédiat.
C’est du moins la conclusion que mes expériences pastorales dans des milieux prolétaires et paysans dans les années 1960 ont imposée à mes élucubrations en la matière.  Dans la décennie suivante, j’ai eu à publier les résultats d’enquêtes à propos d’un phénomène que du dehors on décriait comme de la « religiosité populaire », mais que, l’ayant vécu du dedans, j’ai fini par décrire comme la Religion du Peuple.   En conséquence des réformes entre autres liturgiques de Vatican II, le clergé, du haut en bas, du Pape et des évêques jusqu’au curé de campagne ou de paroisse urbaine, se voyait obligé de protéger leurs ouailles à la fois des vieux dinosaures traditionnalistes et des jeunes loups modernisants.  Mais réfléchissant sur mes expériences pastorales entre autres dans un bidonville romain, un village ujamaa et les communautés chrétiennes  du Nigeria à la sortie de la guerre du Biafra, je me suis rendu compte que le Peuple n’est jamais là où, aussi bien d’en haut qu’à côté (que ce soit à droite ou à gauche), on l’imagine et voudrait qu’il soit.  A Rome, les membres locaux du Parti Communiste qui ne mettaient jamais les pieds dans la minuscule chapelle construite à leur intention par une riche propriétaire du cru, participaient volontiers aux pèlerinages que j’organisais à Santa Rita di Cascia ou à la Madonna di Pompei et me demandaient si je ne pouvais pas téléphoner à Padre Pio pour régler l’un ou l’autre problème concret ; en Tanzanie, mes paroissiens paysans n’étaient nullement intéressés par la Virginité de Marie que le Vatican défendait bec et ongles, mais étaient aussi demandeur des messes à la Vierge pour la pluie que leurs pendants des villages musulmans de l’Anatolie de rites du même gabarit (Makal 1978 : 210sq). Si j’avais intitulé mon rapport de mission au Nigeria Laisse partir mon Peuple  c’est que chaque groupe enquêté cherchait à promouvoir la logique et le langage du lieu qui lui était propre : les évêques se plaignaient de la pression exercée sur eux par le nonce apostolique, les curés se sentaient brimés dans leurs élans évangéliques par les évêques, les fidèles plutôt que se laisser faire dans des organisation d’Action Catholique instrumentalisées par le clergé, créaient leurs propres associations parallèles, les vieux se lamentaient de ne plus être respectés par les jeunes et ceux-ci pestaient contre les carcans coutumiers dans lesquels les notables continuaient à les coincer. 
Tout le monde est le Peuple subalterne d’un dominant hégémonique !  On peut même imaginer qu’un Pape prêt personnellement à tolérer des IVG thérapeutiques se sente un peu « Peuple » par rapport à un Dieu qui tient à ce qu’on ne touche absolument pas à la vie qu’Il donne.  
Echaudé par ces rencontres avec des Peuples revendiquant le droit d’occuper le lieu qui, jusqu’à preuve manifeste du contraire, leur semblait convenir, comment ne pourrais-je ne pas me méfier des projets de délocalisation intempestive, surtout quand ils sont le fait de ceux qui ne sont pas du Peuple à déménager ?   C’est un fait, par exemple, que les femmes ont été en gros désarmées depuis que les hommes se sont mis à chasser (p.25, 62).  Mais en détail, non seulement l’hypothèse d’un seul et unique mode de chasse-cueillette a fait long feu (Ingold, Riches, Woodburn : 1988), et je ne vois pas pourquoi le « Hunting Hypothesis » devrait se transformer en la thèse du droit des femmes à être aussi violentes que les hommes envers d’autres vivants puisqu’il y a des sociétés foncièrement non-polémiques (Montagu : 1978).  Un problème que l’égalitariste peine à expliquer est pourquoi les Esclaves mettent tellement de temps à se révolter contre leurs Maîtres et les conditions que ceux-ci leur font, notamment en matière d’alimentation.  Prenant le contrepied d’un Homo economicus  toujours en quête de sous illimités et de satisfactions sans fin, Crozier et Friedberg (1977) avaient déjà établi que les hommes, tout en ne se contentant pas du strict minimum, ne cherchaient que rarement le maximum. Se pourrait-il que la plupart du temps la plupart des gens n’ont pas tout à fait tort de trouver que leurs comptes sont pour le moment relativement bons, qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, que la révolution, du moins dans l’immédiat, ne profite que rarement au peuple ?  Et si en règle générale le Peuple était tout simplement plus réaliste que défaitiste ?  Puisque j’ai du mal à trouver que la religion de mon peuple romain n’était qu’un palliatif opiacé ou qu’en profitant de la médecine coloniale le peuple konongo s’était suicidé objectivement, je serais tenté de voir dans la poignée de femmes camerounaises (p.133sq) qui osent manger des gésiers des mutantes marginales plutôt que des porte-parole d’un mouvement de masse.  
Entre la répression intolérable du tyran impitoyable et la révolution radicale des damnées qui n’ont plus de terrains à perdre, il existe un tas de d’alternatives.  Elles ne sont pas toutes des pis-aller aliénants.  Certaines seraient à apprécier comme des tactiques dont parle de Certeau (1980).  Les femmes Konongo, grâce aux demandes de leurs esprits, se payaient la tête de leurs maris de la même façon que les épouses Woyo (du Congo), sans mot dire, se faisaient bien comprendre de leurs époux en leur présentant la nourriture dans des pots aux couvercles munis de figures proverbialement éloquentes. La ruse peut être plus payante que la rupture (Latouche, Singleton : 2004). Les rapports humains n’étant pas tous à base d’un pouvoir aliénant n’ont pas nécessairement lieu entre dominants et dominé(e)s.  Bien que l’exception confirme la règle démocratique, il peut y avoir des dictateurs éclairés.  Il n’y a pas de monarque plus absolu que le Pape François, mais il faut être de mauvaise foi pour trouver à redire à propos de son encyclique magistrale sur l’environnement.  D’autre part, il y a des démocraties intraitables – dont celles qui font mourir et se suicider des Grecs faute de médicaments et d’espoir.  Bien qu’ils n’osent plus citer Marx, les intellectuels de gauche tendent à conjuguer les rapports de genre avec le pouvoir (p.194) et à télescoper « différence » et « discrimination ». Or, avant d’en arriver là, les phénomènes parlent plus souvent que les militants indignés ne l’imaginent de relations humaines à base d’autorité recevable et d’une plurilocation salutaire. 
A priori, les logiques humaines ont lieu entre deux extrêmes : l’égologique et l’allologique (de allos ou « autre » en grec[5]).  A posteriori, au solipsisme substantiel de la modernité occidentale répond le « naître et être avec » de la plupart des autres cultures humaines.  A l’ego essentialisé des philosophes (tel que le soi tout seul de Descartes ou la monade de Leibnitz métaphysiquement close en elle-même) répond l’acteur individuel qui, de Rousseau à Rawls en passant par Renan, choisit éventuellement de se lier contractuellement (et donc après coup et par pur intérêt personnel) à d’autres « en soi » tout aussi foncièrement autonomes.  Par contre, la plupart des peuples non-occidentaux n’ont pas attendu Husserl & Cie pour reconnaitre que le réel étant d’emblée épistémologique et d’office ontologique relationnel, l’un n’allait jamais organiquement sans l’autre. Que l’autre soit autrui ou autre que l’humain tel que localement vécu et conçu, l’important est que le rapport et l’apport allologique est toujours conçu et vécu de façon asymétrique.  Se faisant moins d’illusions idéalistes que le Moderne, le Mukonongo (pour ne pas dire le Primitif tout court) prenait comme allant de soi que l’identique à l’identique est matériellement, moralement et métaphysiquement impossible.  Des haches fabriquées en série par le même forgeron étaient tout aussi distinctes que des grains de sésame ;  les jumeaux n’étaient pas égaux puisqu’il y avait un aîné et un cadet ; et des pratiques entre autres d’infanticide et la virilisation sociale de la ménopausée parlaient d’une conviction, en l’absence de toute notion d’une nature humaine commune, que seul le vieux devenait enfin humain ; quant à disparaître dans le divin (ou le néant), puisque cela représenterait une confusion cauchemardesque le MuKonongo n’en rêvait surtout pas. 
En aval, s’agissant de relations spécifiques, il se peut qu’il y ait des exceptions apparemment symétriques à la règle asymétrique.  C’est ainsi que Marion (1998, 2010) réduit l’échange économique du donnant-donnant équivalent à quelque chose de secondaire par rapport au don gratuit à sens unique.  Mais en amont allologique, l’asymétrie est en principe absolue.  Néanmoins, en pratique, l’égalité légale représente un garde-fou conventionnel contre des abus éventuels tels que la prostitution et la pédophilie, l’apartheid ou pire encore Auschwitz.  Bien qu’à base d’une notion ethnocentrique de l’humain émanant de la tradition gréco-latine et judéo-chrétienne, les Droits de l’Homme peuvent aussi limiter les dégâts dus à des imaginaires et institutions inégalitaires, quitte à tempérer leur égologie excessive aux yeux des non-occidentaux ((Singleton, 2000) par des ajouts allologiques tels que le droit des collectivités ou le droit de regard sur des agissements à l’égocentricité équivoque.   Les sages-femmes konongo par exemple, tout en pratiquant l’infanticide en éliminant dès leur naissance des handicapés qui risquaient d’hypothéquer le bien commun, auraient trouvé un point trop loin le droit de la femme occidentale de gérer son corps sans aucun égard pour autrui, entre autres soit pour avoir son bébé soit pour s’en défaire (Memmi, 1996).  Du point de vue de l’analyse, le tout est d’admettre que le seuil établi par un Ricœur entre la névrose et le psychopathologique doit nous faire penser qu’un saut similaire bée entre le dernier cas limite et le premier cas hors limite.  Cette grille permet de distinguer une asymétrie alimentaire à la limite de l’acceptable d’infâmes pratiques affamantes.
Les contributions à ce numéro du Journal me paraissent osciller entre les extrêmes.  D’un côté, l’égologie néo-libérale qui, en réduisant la responsabilité au seul niveau individuel, évacue l’altérité du contexte social est dénoncée (p.85). De l’autre, l’existence éventuelle d’une allologie oblative ne semble guère envisagée  - l’altruisme maternel se trouvant télescopé avec une naturalisation euphorisante de l’esclavage domestique (p.93).  Quand le dévouement désintéressé n’est qu’une illusion aliénante ou du profit non déclaré ; on n’est pas loin du soupçon bourdieusien quant à l’irréductible épaisseur des phénomènes de gratuité et de générosité, d’affection et d’amour (Singleton, 1999, 2009).  Pour certains, l’idéal de l’égalité égologique se conjuguant avec une justice distributive élémentaire, il rendra des téléthons larmoyants et autres collectes pathétiques redondants et révèlera l’incongruité intrinsèque  de la charité chrétienne ou l’aumône musulmane. En principe, tout le monde, homme et femme, au Sud comme au Nord, devrait pouvoir, comme disent les Belges, tirer son plan tout seul comme un grand.  Le projet d’une allocation universelle à titre individuel destinée à satisfaire l’essentiel des besoins égologiques laisserait plus d’un MuKonongo rêveur, non seulement à cause des milliards d’Asiatiques qui y auraient droit, mais parce qu’il préférerait personnellement favoriser les représentants du collectif et de l’associatif (les chefs de famille, les dirigeants de confréries).  La solidarité « primitive » est allologique, la sécurité sociale égologique (Singleton, 2016).
Puisque je n’y ai pas mis le pied, je veux bien admettre que l’asymétrie intersexuelle en matière alimentaire vécue par les auteur(e)s sur leurs terrains respectifs, quoiqu’acceptée faute de mieux par pas mal des plus concerné(e)s, était devenue inacceptable pour certain(e)s. Le mieux en question (la grâce chrétienne, le développement capitaliste, la modernité féministe…) peut être diversement apprécié : rejeté par les uns, ignoré par les autres ou remisé aux calendes grecques par les réalistes ou les résignés.  Mais je ne parlerai ici que des cas d’asymétrie acceptable puisque redevables d’une autorité agréée sinon toujours agréable et non pas d’un pouvoir qui s’impose par la force des choses ayant pour nom, entre autres, la loi ou la police.  Des cas massivement exemplaires ne manquent pas, de l’autorité parentale au consensus des sages et des compétences des spécialistes (du plombier polonais ou du médecin traitant) en passant par l’apprentissage d’un métier ou le jury de thèse et autres comités de lecture.   Un exemple me parait particulièrement éloquent puisque j’en ai parlé du début à la fin de ma carrière (Singleton, 2015)) : c’est celui de la structuration gérontocratique de l’aristocratie.  A un certain moment et dans certains milieux faire confiance tous azimuts aux vieux (geron) était ce qu’il y avait de mieux (aristos) à faire pour tout le monde, jeunes et femmes inclus.  Chez les WaKonongo, les « senior citizens » constituaient tout au plus 5% et non pas, comme c’est désormais le cas chez nous, 35% de la pyramide démographique.  La chrono-logique konongo n’ayant pas encore basculé d’un passé parfait à un futur toujours de en plus parfait, c’était encore les vieillissants qui savaient par expérience où se trouvaient les meilleures terres et où se terrait le gibier, comment faire face aux joies et aux peines de la vie quotidienne et, étant sur le point de les rejoindre, la manière la plus profitable de négocier un bon prix avec les nus-propriétaires des ressources que nous appelons « naturelles » (la fécondité des femmes, la fertilité des champs, la prodigalité de la forêt).  Dans cette Afrique des villages chère au regretté Marc Ela, plus on vieillissait plus grandissait son utilité publique.  Tout en apportant leur contribution à la survie collective, les jeunes et les femmes trouvaient qu’il était dans leur intérêt le plus obvie de reconnaître que sans le savoir faire, le savoir vivre et la sagesse des aînés leur existence même serait sérieusement hypothéquée.  Cette reconnaissance prenait la forme d’un respect pour les vieux à la limite de l’obséquiosité à mes yeux et se manifestait par un tas de pratiques qui me paraissaient aussi au début exagérées : le fait qu’on leur offrait les meilleurs morceaux de viande lors des repas et les premières calebasses de bière lors des fêtes, ou qu’il allait de soi, lors des prises de photos, qu’ils se mettent au premier rang et trouvent même qu’il était superflu de photographier leurs enfants et leurs épouses. 
Tout cela, n’ayant rien de bien religieux, a par contre tout d’une simple symbolisation ou mieux sacramentalisation de la séniorité. C’est donc à tort ethnocentrique qu’on parle de sa prolongation sans discontinuité en direction des morts-vivants comme d’un « culte des esprits ancestraux ».  Si de religiosité il s’agit, cela ne peut être que dans le sens d’une réciprocité asymétrique mais obligée (ligare) en réseau à l’égard d’interlocuteurs faisant figure de et fonctionnant comme un peu plus qu’humain (selon, bien sûr, le vécu et conçu local de l’humain).  Comme j’ai pu le constater lors de mes travaux de terrain au Congo (Singleton, 1986), cette obligation cesse d’être de rigueur quand, suite à un changement socio-économique fait du passage en plus ou moins grande partie vers les jeunes sinon vers les femmes du savoir et donc du pouvoir et du droit à l’avoir, la gérontocratie perd sa raison d’être effective et rend par le fait même son expression cérémonieuse (pour ne pas dire « rituelle ») redondante. C’est dire que la dynamique asymétrique fonctionne comme des ascenseurs : les Maîtres d’un jour (les vieux, les hommes, les rois…) devenant le lendemain des Esclaves… l’illusion de l’égalité étant l’instant où les cabines se croisent !  Il n’empêche que pendant des siècles, voire des millénaires, l’asymétrie intergénérationnelle avait fait ses preuves darwiniennes.   
C’est pourquoi la grille d’une asymétrie acceptable me paraît mieux à même que son pendant sexiste de faire le sens le plus phénoménologiquement plausible du manger maison et konongo tels que je les ai connus.   Il se peut qu’à l’insu de mon plein gré je plaide pour ma chapelle sinécurisée. Plus de 90% des Nigériennes interrogées lors d’une enquête en 1973 auraient voulu, le cas échéant, se voir réincarnées en mâles !  Mais à moins que je ne prenne mes rêves pour la réalité, je n’ai pas l’impression que les femmes cuisinières que j’ai côtoyées en Europe ou en Afrique de la génération de ma mère à celle de mes filles en passant par celle de ma meilleure moitié, ont vécu (in)consciemment en Esclaves impitoyablement exploitées par une race de Maîtres à l’égoïsme impénitent.   Loin de moi l’idée que les hommes ne pourraient pas faire plus à la cuisine et partager plus équitablement les plats de choix.  En anthropologue, je cherche tout simplement ; avant d’embarquer dans des escalades idéologiques, à épouser au plus près des épaisseurs qui ne me paraissaient pas toujours, loin s’en faut, parler d’inégalités flagrantes sciemment imposées par des dominants intraitables.
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[1] Cf. Tort (2001) et Laurent (2010) pour une anthropologie de la beauté.
[2] En 1979 j’avais fait le bilan de mon engagement pour l’émancipation féminine/
[3] Je parle du darwinisme vulgaire et non pas de la vulgate (r)établie, à raison, par Tort.
[4] A supposer qu’on puisse opposer ainsi un croire subjectif et mystificateur (même s’il s’agit de bonne foi) à un savoir objectif et impartial (celui entre autres de l’anthropologue) – une supposition aussi épistémologiquement équivoque qu’ethnocentriquement circonscrite.  Dans le domaine de l’épistémologie, bien avant que Ricœur (1974) n’ait montré que la science même est une idéologie parmi d’autres, Polanyi (1958) avait identifié un coefficient personnel dans tout acte de savoir. Dans le champ de l’ethnologie, Kopytoff (1981) avait incriminé le côté excessivement ethnocentrique de l’imposition sur des cultures africaines de la dichotomie occidentale entre  « to believe » et « to know ».  Rien de plus scientiste que la pensée sauvage selon Lévi-Strauss (1962) et pour Needham (1972) rien de moins sûr que « belief » soit un phénomène aussi univoque qu’universel.
[5] Pour ne pas trop compliquer mon argument principal j’ajoute en note qu’en dépit de l’invention de l’écrit et l’apparition de l’électronique, l’allologie reste tout aussi allophonique qu’allophanique : la plupart du temps l’autre (allos) non seulement me parle (phone « voix ») mais se manifeste (phainesthai)
sans doute pas avec l’extraordinaire intensité du sacré (l’hiérophanie dont parle Eliade) mais de sa propre initiative et avec son intentionnalité identitaire idiosyncrasique, irréductible à la mienne.  Inutile d’ajouter qu’à cause de son ethnocentrisme congénital, mon correcteur d’orthographe refuse obstinément mes néologismes barbares !   

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