Manger à la sauce sexiste
Michael
Singleton
Professeur
émérite, Université Catholique de Louvain
Couriel :
singleton@demo.ucl.ac.be
Le dernier
numéro du Journal fut un vrai
régal. En mâle habitué de longue date à se
mettre à table plutôt que de préparer ce qui s’y met, je n’avais jamais pensé à
ce point que des pratiques alimentaires pourraient faire partie des panoplies
respectives des sexes en guerre larvée ou ouverte. Gavé de données inédites, je ne suis pas
resté sur ma faim. Néanmoins certaines
préparations m’ont paru trop salées, du moins à mon goût. Se trouver membre du comité scientifique
n’est pas synonyme d’être rapporteur pour un Michelin
anthropologique ! C’est donc par
pure sympathie et sur fond d’une appréciation plus que positive des mets servis
que j’offre ici des digestifs maison qui pourraient aider à avaler des
affirmations parfois quelque peu analytiquement trop abruptes et
apodictiques.
Un premier
constat: puisqu’il y a lieu de bâtir plutôt que de revenir sur des acquis académiques
et de s’attaquer à des problématiques négligées par ses prédécesseurs, il y a
de bonnes raisons de ne renvoyer massivement qu’à des travaux de la fin du
siècle passé et du début du présent. Pourtant
les absents n’ont pas toujours tort. A l’instar des Immortels du
« Dream-world » aborigène qui veillaient en permanence à l’usage que
les vivants faisaient de leur grain, les ombres de Tylor et Frazer, Weber et
Durkheim planaient encore au-dessus de l’Institut où j’ai fait de l’Anthropologie
Sociale à Oxford dans les années 1960.
Il fallait parcourir entièrement leurs œuvres, là où en fin de carrière
j’avais du mal à en faire lire même de modestes morceaux choisis. Je ne me vois pas en laudator inconditionnel des temps (de)passés ni en apôtre d’un culte
fidéiste de nos ancêtres. Néanmoins, il me semble entre autres que Lévi-Strauss, dans ses Mythologiques avait apporté de quoi nourrir des réflexions sur le
manger interculturel et qu’au moins la lecture de Mary Douglas (1966) sinon des
classiques sur le tabou, aurait pu alimenter la discussion autour des interdits
alimentaires.
Ensuite puisqu’il
ne peut pas y avoir en aval une anthropologie de terrain sans une
anthropo-logique théorique en amont, l’anthropologue de métier a intérêt à
expliciter la logique humaine qui l’anime.
Or en lisant non seulement entre les lignes mais à la linge des textes
de ce numéro j’ai retenu, peut-être à tort, l’impression d’une vision de
l’homme non seulement à base de choix rationnels et conscients (p.214), mais
des plus délibérément et méchamment machiavéliques. Puisqu’on ne fourbit pas ses armes sans avoir
en vue une guerre à gagner, il était sans doute inévitable que la stratégie du
manger sexiste apparaisse à ses adversaires comme émanant d’un PC aussi viril
que virulent. Les hommes qui avaient
réussi à gagner pignon sur rue, afin de consolider des pouvoirs et des
privilèges qu’ils savaient pertinemment bien injustement usurpés et
objectivement non justifiés, se seraient concertés à un moment donné en vue de
l’élaboration et de l’établissement d’un système alimentaire préjudiciable à
ceux (les jeunes) et surtout à celles (les mères) qui, en principe, non seulement
méritaient mieux mais avaient réellement besoin d’une structuration plus
équitable sinon absolument égalitaire de l’alimentation. Il est question
(pp.136sq) des mâles dominants cherchant à s’assurer la mainmise sur des
marginalisées subalternes par l’imposition impérieuse de tabous alimentaires
dont le caractère arbitraire voile à peine la volonté d’exercer une
« violence inouïe ». Remarquons
que Mungo Park (1896 : 73) y avait déjà pensé en 1795, bien avant donc que
Freud, Jung et autres Eliade aillent y ajouter leurs grains de sel sexuels
individuellement ou collectivement inconscients et cosmiques. Lors de son
passage dans un bled sur le haut Sénégal, l’explorateur écossais suppose que
l’interdiction qui y était faite aux femmes de manger des œufs et qu’elles
avaient intériorisée à fond aurait pu avoir été le fait d’un vieux musulman
voulant se réserver en exclusivité ce mets dont il était friand ! Bien que saisissant, ce genre de raccourci,
plutôt que de relever d’abrégés académiques renvoie à des épitomés mythiques –
entre autres celui des mâles à peine humains qui in illo tempore auraient volé le feu avec lequel des femmes déjà
civilisées cuisinaient! A l’apôtre
d’antan qui, au nom d’un Dieu surnaturel, condamnait sans appel le féticheur
suppôt de Satan semble succéder aujourd’hui l’anthropologue qui, au nom du
Destin naturel, incrimine irrémédiablement le patriarche machiste.
S’il faut (dato non concesso !) absolument
donner une explication anthropologique à des pratiques alimentaires qui
privilégient les mâles, le Darwin de la Filiation
de l’Homme (1871) pourrait faire l’affaire puisque l’évolution a fait provisoirement
en sorte que le « breadwinner » soit aussi un
« bedwinner » ! Sous sa
forme sexuelle, le processus de sélection naturelle a produit le beau (mâle)
qui se reproduit avec la plus belle des femelles, induisant ainsi au moins
indirectement et involontairement des effets bénéfiques pour la survie
collective[1]. Que les meilleurs morceaux soient réservés
aux hommes dominants pourrait être un écho « vestigial » (on sait à
quel point ce concept fut clef dans l’histoire de l’approche anthropologique)
du fait que les plus adaptés en termes d’armes offensives et défensives étaient
aussi les plus aptes à assurer une descendance saine. Mais la lutte évolutive continue. Que la Culture ait commencé et continue à
renverser l’ordre établi par la Nature pourrait signifier dès maintenant la fin
de recréation pour les hommes et sinon le désarmement tout court, du moins le
réarmement des femmes. Car ce qu’il y a
de juste dans le titre de ce numéro est le constat fait par Claude Lefort que sans conflit rien de bien
significatif ne peut se faire. De toute
manière, si Hegel n’a pas tort, la raison d’être de l’Histoire culturelle qui a
pris la relève de la naturelle serait autrement plus rusée que la roublardise
invoquée par les mâles indument dominants pour défendre leur bifteck.
En attendant la
fin des hostilités sinon le triomphe du deuxième sexe, la guerre alimentaire
entre les sexes ne se faisant pas à armes égales, des anciens[2]
aussi bien que des nouveaux combattants ne peuvent que regretter un tas de
dégâts collatéraux plus que symboliques que la belligérance produit : de
la malnutrition des faibles qui, comme les femmes enceintes (p.207) auraient plus besoin que les forts d’une
quantité qualitativement saine de nourriture, à l’incapacité des vieux de
cuisiner pour eux-mêmes ou pour leurs compagnes handicapées (p.113sq), en
passant par le yoyo diététique imposé à des femmes occidentales complexées par un
imaginaire vestimentaire de sveltesse sexy (p.213sq). Cette guerre aurait commencé avec le premier
homme qui, en cassant le premier caillou pour casser la figure d’autres vivants,
est devenu chasseur, reléguant ainsi les femmes à la cueillette et à la cuisine
(p.25sq). L’émergence d’Amazones du
gabarit d’une Thatcher ou d’une Merkel et l’entrée des femmes à l’armée, en
faisant manger à tout le monde la même rata de campagne, pourrait ne marquer
qu’une trêve.
Loin de moi
l’idée de préconiser le maintien du statu quo en matière de manger
sexiste. Ayant plaidé ailleurs pour une
anthropologie libératrice, toujours impliquée et à l’occasion indignée, ce
n’est pas maintenant que je vais faire l’apologie d’une neutralité experte en
amont de tout engagement non seulement éthique mais éventuellement enragé
(Singleton, 2002, 2011a, 2011b).
Néanmoins, il faut bien reconnaître que tout militantisme porte
manichéisme et qu’avant de jeter de l’huile sur un feu l’anthropologue se doit
de savoir pourquoi il fut allumé et entretenu.
Missionnaire, à l’instar de St Georges, je m’imaginais mandaté par le
Bon Dieu pour combattre le Mal diabolique jusqu’au finish. Mais l’Afrique m’a appris que l’Autre, le
Dragon, les esprits ancestraux, font figure et fonctionnent comme des interlocuteurs,
certes intéressés mais tout aussi bons que malfaisants. Par conséquent, dans cette complexité
irréductible du vécu dont parle Morin, ni absolument dominant ni complètement
dominé. Jeune et apprenti occasionnel
auprès de mon grand-père maternel, croque-mort de son état, je me suis demandé
pourquoi lui avait droit à son bifteck quotidien quand moi et ma grand-mère devions-nous
se contenter de saucisses (à l’anglaise en plus !). Ce n’est que beaucoup
plus tard, à la fin des années 1960 chez « mes » Wakonongo de la
Tanzanie profonde, que je me suis rendu compte qu’en l’absence de toute
sécurité sociale étatisée ou mutualisée, la famille prolétaire ou paysanne
avait tout intérêt, au bas mot darwinien[3],
de bien nourrir son « breadwinner » ou gagne-pain. C’est en partie du moins de cette évidence
obvie et non seulement des « croyances (idéologies et mythes)[4]»
(p.194) que relève me semble-t-il « le modèle de partage »
alimentaire, tout biaisé qu’il soit en faveur des hommes (ibid.,). Cultivant sur brûlis, les WaKonongo
n’auraient pas pu en sortir vivants sans la force musculaire des bras masculins. Même les viragos du cru n’auraient pas pu abattre
les arbres au milieu des nuées de tsétsé et avec des immenses houes cogner la
terre de la friche toujours pleine de racines.
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Je ne vais pas
refaire ici une ethnographie du manger konongo que de toute façon je n’ai
jamais expressément faite. Encore moins voudrais-je ajouter un chapitre à des
bouquins qui, comme celui de Bayart (1989), montre comme le manger africain
évoque, en plus du pouvoir dévorateur, l’anthropophagie sorcière et le
cannibalisme tout court (aussi bien celui du Blanc que celui du Noir). Mais en réfléchissant sur mon vécu, il me
parait représenter le genre de cas contraire qui, comme une épingle, menace
toute généralisation gonflée. Dans un
premier temps, on me faisait manger à part à la manière des chefs d’antan. Comme au Cameroun (pp.136sq) on me servait
des gésiers. Personnellement je trouvais
ce mets de choix réservé aux notables répugnant – à cause alors, insinuerait le
freudien, de mon état de célibataire non pas endurci mais consacré qui m’interdisait
la sexualité tout court et non seulement le cunnilingus symbolique. Cette insinuation paraîtrait peu plausible aux
Africains que j’ai connus puisqu’ils associaient sexualité et manger
explicitement et non pas par symbole inconsciemment interposé (Singleton,
1997)). Ayant finalement réussi à
imposer ma présence lors des repas pris en commun par les membres de la famille
de mon hôte, Jakobo Kasalama, j’ai fait une série de découvertes qui m’ont
amené à penser qu’un messie konongo, à l’encontre du palestinien que fut Jésus,
aurait suggéré que si on tenait à se souvenir
de lui, que ce soit en faisant un sacrement du palabre plutôt que du
banquet.
Si elles avaient
eu à choisir, les femmes konongo auraient préféré un numéro sur
l’« empowerment » en paroles plutôt qu’en bonne chère. De toute manière, on se tromperait aussi bien
onto-épistémologiquement qu’ethnologiquement en abordant le manger konongo
comme une variation culturelle ou accidentelle sur une réalité substantiellement
transculturelle. En gros, le fait que
les Belges mangent des frites là où les Italiens consomment des spaghettis
n’entame pas la réalité générale d’un manger culturel à l’européenne. Mais l’ugali
(ou polenta) qui remplaçait chez les WaKonongo nos patates et pâtes ne réduit
pas leur manger à n’être qu’une manifestation locale d’un besoin naturel. Car en tant que fait culturel (le seul qui, en définitive, devrait intéresser un
anthropologue) le manger konongo n’avait en commun avec mon manger occidental
que la nécessité biologique de s’alimenter.
Non seulement les fils de Jakobo, accompagnés de leurs propres enfants mangeaient
la plupart du temps avec leur père, mais quand il leur arrivait de manger chez
eux, ce n’était jamais avec leurs femmes.
Nous mangions vite et en silence la nourriture que les épouses nous
apportaient dans le banza (un abri
rudimentaire – tout ce qui restait de la Maison des Hommes d’antan). Car l’auvent étant ouvert à tous les vents si
on trainait la polenta se refroidissait rapidement et se remplissait de
poussière. Aucune festivité, aucun rite
de passage n’était marqué par des agapes relevées. Ce n’est pas que nous mangions mal ou que des
passants n’étaient pas invités à nous rejoindre. Mangeant dehors à proximité de
cases sans palissades et près des sentiers, tout le monde qui passait était
salué par un karibu chakula (« viens
manger un bout »). C’est tout simplement que chez les WaKonongo
« convivialité » ne rimant pas avec « commensalité »,
l’alimentation ne figurait pas comme un arme de choix dans la panoplie du genre.
Si les jeunes (en gros âgés de sept à douze ans) soupaient à tous les râteliers
tout en y picorant peu, c’est qu’ils avaient souvent déjà attrapé et grillé en
brousse des petits rongeurs et des oiseaux ou maraudé des arachides et du
manioc dans les champs.
Les femmes
konongo ne dépérissaient pas à vue d’œil et survvaient souvent plus longtemps
que leurs maris. J’ai du mal à croire qu’elles avaient intériorisé un
imaginaire qui aurait dû leur paraître terroriste. Il se peut qu’il y ait des cultures où les
femmes non seulement n’osent pas mais ne pensent même pas à se servir d’abord
(avec leurs petits enfants) avant d’apporter à des mâles fainéants les plats
qu’elles ont préparés seules et à la sueur de leur front. Les femmes qui figurent sur mes diapositives
sont toutes bien en chair sans être obèses.
Personne chez les WaKonongo qui
ressemblait à ces grosses mamma que j’allais croiser lors de mes enquêtes au
Nigeria (1973) ou même au Congo (1986).
Par contre, en Ethiopie (1976) même les femmes non affamées me
paraissaient à la limite de l’anorexie.
Leurs hommes les
aimant plutôt grassouillettes, il ne serait jamais venu à l’esprit d’une femme
konongo de se farcir cette pratique inégalitaire (p.213sq) que le régime
amaigrissant représente chez nous. Ne
portant que des pagnes, elles n’avaient pas à regretter de ne plus pouvoir
« rentrer dans une taille 36 » (p.235sq). Mes voisines konongo auraient trouvé tout
aussi grotesque que moi-même le gavage des filles nubiles chez les Maures, que
j’ai encore connu au nord du Sénégal dans les années 1985. Un gynécologue
expatrié nous a même rapporté que
cherchant l’origine de l’odeur pestilentielle qui émanait d’une jeune patiente
maure, il avait trouvé le cadavre pourri d’une souris dans un des plis de son
ventre ! Les adolescentes konongo
étaient coquettes et leurs mamans passaient des heures à se faire tresser les
cheveux. Les rapports entre les sexes
étaient plus distendus que tendus. Mes
efforts pour rapprocher les jeunes en vue de la formation de couples et de
familles que j’imaginais chrétiens quand ils n’étaient que ceux de la petite
bourgeoisie (nord)européenne n’ayant rien donné, je me suis dit que leurs
mondes étant à ce point à part, les femmes konongo s’embellissaient tout
simplement pour elles-mêmes et non pas pour leurs mecs ou leurs maris (comme
c’est le cas de pas mal de femmes modernes en dépit de leurs protestations du
contraire).
Un seul parmi
les jeunes couples du voisinage mangeait ensemble. Lui s’appelait Protasi, elle
Sinfrosa. Sans être en rien une virago,
Sinfrosa savait se faire respecter. Protasi par contre, tout en étant sympathique,
était loin d’incarner l’idéal konongo de masculinité. J’ai raconté ailleurs (1977) comment j’ai négocié
un compromis historique avec l’esprit qui possédait Sinfrosa. Son mari ne pouvant pas cette année-là
fournir la robe annuelle implicitement incluse dans le contrat de mariage, j’ai
persuadé le jini d’accepter moins en
attendant. Outrée, plus d’une féministe mise
au parfum du cas a réagi en disant que si Sinfrosa s’était retrouvée dans une
société plus sexuellement émancipée elle aurait pu et dû revendiquer son dû
face à face. Mais tout en faisant honneur aux indignées en question, cette
réaction ethnocentrique m’a toujours paru à côte de la plaque indigène. Dépitées par leur mari, les femmes konongo
pouvaient tout simplement rentrer chez elles… l’obligeant non seulement à
quémander de la nourriture chez des voisins, mais à chercher de l’eau lui-même
– la honte ! Malgré ou peut-être à
cause d’un système de résidence viri- ou mieux patrilocal, plus d’une de mes
connaissances, à l’instar de leurs sœurs Mongoles (p.177 citant Hamayon 1979)
avait claqué la porte et ait retournée chez ses parents.
**
*
*
Si j’ai monté en
épingle le cas konongo c’est qu’une aiguille, comme Evans-Pritchard confronté à
mes envolées totalitaires se plaisait à me le rappeler, suffit pour dégonfler
une théorie globalisante. Tout n’est pas don et la structure n’explique pas
tout. Et les rapports homme/femme chez les WaKonongo ne répondent pas à la
seule grille Maître/Esclave. Les généralisations d’un féminisme primaire risquent
d’escamoter la complexité interculturelle non pas d’une chimérique condition
féminine, mais des conditions diversement faites aux femmes. Puisque l’excision « ça » n’existe
pas, du moins pas si par « ça » on entend une constante pour
l’essentiel transculturellement identique, les anthropologues ont intérêt à
parler de modifications ou à la limite des mutilations génitales. En effet, certaines pratiques de circoncision
peuvent être plus débilitantes que des formes d’excision plutôt symboliques (cf.
les essais et témoignages édités par Zabus, 2008). A
fortiori doit-on envisager l’éventualité de cas où l’alimentation, plutôt
que de fonctionner comme de l’artillerie lourde, ne serait qu’une arme factice. Il serait intéressant par exemple de savoir
si dans les foyers homosexuels en général et lesbiens en particulier, le manger
se prête à une analyse en termes de dominant(e)/dominé(e).
Je ne sais pas
où en sont actuellement les relations homme/femme chez les WaKonongo. Ce que je
sais c’est que mon vécu konongo à la fin des années 1960 m’a fait comprendre
non seulement l’ambiguïté de libérer les femmes pour qu’elles puissent faire
exactement comme les hommes (notamment la guerre voire de l’anthropologie !),
mais toute l’équivoque qu’il peut y avoir à conjuguer l’émancipation féminine
au singulier. C’est pourquoi, mais sans
condescendance aucune, je ne peux qu’approuver les auteur(e)s qui s’attaquent à
des stéréotypes spécifiques, sans doute factices mais aux conséquences
fâcheuses, comme celui de la « femme méditerranéenne générique »
(p.56). Si la dichotomie entre Nature et
Culture représente une exclusivité occidentale (Singleton, 2001 ; Descola,
2005) il serait hautement ethnocentrique de parler d’une Femme Eternelle (die ewige Frau) naturellement plus
maternante que l’Homme. La Pacha Mama
foncière de l’Amérique latine n’était pas forcément plus portée sur la cuisine
que la Déesse Mère de la Méditerranée ne le fut sur l’amour plutôt que la
guerre. Les femmes inculturées en Europe et ailleurs dont ce numéro fait état
ne peuvent en aucune manière anthropologique être alignées sur une Féminité
archétypique comme autant d’avatars approximatifs – surtout quand l’apogée
ainsi absolutisé, vu de près, ressemble à s’y méprendre à la vitesse orbitaire
de la bourgeoise américaine. Si l’approche
psychanalytique a surtout marché pour la classe complexée de Vienne à la fin du
XIXe siècle, on ne voit pas pourquoi il y aurait une pratique alimentaire qui
conviendrait davantage à toutes les femmes du monde. Puisque les anthropologues ne cessent de
proclamer que chaque cas étudié est irréductiblement et irréversiblement un cas
à part entière, un certain nominalisme casuistique constitue un des principaux
piliers qui soutiennent leur plafond paradigmatique.
Apôtre, je dois
confesser (Singleton, 2015) m’être initialement imaginé mandaté par Dieu pour
sauver l’Humanité. Désormais, devenu anthropologue, j’avoue tout au plus avoir pu
aider des compagnes de route à cheminer plus allègrement. Echaudé par la
faillite aussi bien de mes initiatives humanistes (un club mixte adolescents et
adolescentes) que par mes ingérences humanitaires (consciemment ou
inconsciemment des jeunes filles n’ont pas voulu être libérées de la
« corvée » de l’eau que ma mécanisation rudimentaire du puits local
projetait (Singleton 2010, chap. 1), j’ai cessé de proposer aux femmes konongo
des projets de développement féminin. Laissant
à d’autres le soin de les occidentaliser par l’implantation d’écoles pour les
filles, des maternités et même des micro-crédits, je me suis contenté non
seulement d’observer mais même de participer activement à des procès de
sorcellerie et des séances d’adorcisme des possédées. C’est ainsi que j’ai pu libérer des vieilles
accusées d’être des sorcières, réconcilier des épouses à leur sort polygame et
émanciper des jeunes auxquelles leurs parents voulaient imposer des vieux
fiancés fortunés.
N’en déplaise
aux fauteurs de slogans révolutionnaires, la Liberté « ça » n’existe pas plus que la
Fraternité ou l’Egalité. Plutôt qu’à une égalité entre frères et éventuellement
sœurs, les WaKonongo auraient pensé spontanément à la responsabilité, entre
autres parentale. De toute manière, concrètement on ne peut pas libérer les
gens pour La Liberté mais seulement in
situ, et donc de ce qu’on croit représenter de trop inauthentique et
inféodant dans l’imaginaire et l’institutionnel de leur situation
sociohistorique. Il est permis à l’anthropologue comme au théologien de
rêver à une libération qui rendrait tout le monde égal. Mais en attendant, l’anthropologue de métier
qui transformerait son idéal (utopique ou atopique… c’est selon) en grille
d’analyse apodictique des situations qui ne peuvent qu’être sociohistoriquement
spécifiques risque de compromettre la crédibilité concrète de ses considérations
conclusives. Mieux vaut émanciper des femmes de l’inféodation qui les aliène de « fait » idéologique
et institutionnel que les libérer pour un
imaginaire qui, à moins de l’identifier à de l’absolument (sur)naturel, ne peut
qu’être à son tour un construit culturel.
C’est du moins la leçon que j’ai retenue de la lecture du Sexe relatif ou sexe absolu ? (Alès
et Barraud, 2001) et qui voudrait que la domination n’est qu’une des formes de
la distinction de sexe. Le libérateur doit
surtout prévoir de quoi asseoir la liberté trouvée ou retrouvée. De la même
manière que la plupart des projets de développement font faillite puisqu’on
n’avait prévu pas de moyens de suivi, que de libérations, y incluses celles des
esclaves et des emprisonnés qui, dans un premier temps du moins, font regretter
aux libérés l’époque où ils mangeaient à leur faim, même si c’était au service
des Egyptiens Ex.14.12)!
C’est de ce
réalisme tactique que témoigne ma collaboration aux projets que les femmes
konongo ont élaborés d’elles-mêmes sans attendre ceux proposés par la
Coopération au Développement. Dans la coopération interculturelle en général et
dans la coopération intersexuelle et intergénérationnelle en particulier, les
dominant(e)s tendent de bonne foi à faire preuve d’un impérialisme inavoué en
proposant, quand ce n’est en imposant, leurs « œuvres » (opera) en lieu et place des projets que
les dominé(e)s poursuivent déjà – peu importe que ce soit à l’insu de leur
plein gré. Plus rare encore est le fait
que les Maîtres et les Esclaves renoncent à leurs intentionnalités identitaires
pour collaborer ensemble à l’élaboration des projets d’un Projet inédit.
Loin de moi
l’insinuation que les auteur(e)s
exagèrent en affirmant que la grille heuristique de l’alimentation les a aidés
à « comprendre et appréhender les diverses dynamiques inégalitaires du
genre dans les sociétés » (p.24)
qu’ils et elles ont eu à inventorier et à analyser. C’est tout simplement que la même procédure
d’épaississement empirique me fait hésiter à voir dans l’alimentation la partie
émergée d’un diktat patriarcho-machiste qui structure en profondeur les
rapports contemporains de genre aussi bien au Nord qu’au Sud (ibid.,). Cette hésitation est due à ce que je vois
comme le non-dit équivoque d’une égalité univoque qui remédierait
universellement aux inégalités incriminées du genre. Désarmée, l’alimentation
(re)deviendrait… quoi, justement ? Un manger transculturellement identique
puisque pour l’essentiel sans discrimination aucune en dépit de ses colorations
culturelles de surface – les frites en Belgique, le couscous au Maroc, l’ugali (polenta) en Tanzanie ? En
établissant une dynamique égalitaire (ou en la rétablissant puisque certains
primates continuent à la vivre), l’humanité tout entière éviterait-elle les
effets pervers produits par les déséquilibres délétères des systèmes sexistes
présentement en cours ? Permettre à
des femmes données de manger à l’égal des hommes qui partagent leur situation
sociohistorique instaurerait-il à terme une paix des braves entre les deux
sexes ? L’égalité réalisée
signalant enfin la naissance d’un genre tout simplement humain et la fin de la
distinction, rendrait-elle des études du genre redondantes et Bourdieu au
chômage ?
L’anthropologue
a-t-il à se préoccuper ainsi du long terme ? L’anthropologie a longtemps
été non seulement rétrospective, mais rétrograde. De mon vivant la polygamie et le
polythéisme étaient encore jaugés sinon jugés à l’aune de la monogamie et du
monothéisme victoriens. Si avant de
quitter l’Université Catholique de Louvain en 2004 j’y ai fondé un Laboratoire
d’Anthropologie Prospective, c’est parce que désormais on ne peut guère étudier
des phénomènes sans tenir compte des perspectives d’avenir. En effet, qui parle d’inégalité sexiste ne peut
le faire qu’au vu d’une égalité idéale qu’il y a intérêt à expliciter à court
mais aussi à long terme. En plus des
femmes qui peuvent désormais se taper dessus sur un ring ou massacrer des
taureaux dans une arène, il y a déjà des femmes capitaines de compagnie
multinationales et à la tête des institutions du capitalisme international. Les derniers bastions du pouvoir masculin,
comme les écuries d’Ecclestone ou les séminaires du Pape François, sont
assiégés par ceux et celles qui trouvent que l’« empowerment »
égalitaire passe par le « conspicuous consumption » des voitures de
course et la monopolisation du sacré par des corps cléricalement constitués. Puisqu’on enlève l’utérus malade des femmes,
pourquoi ne pas rendre la couvade réalité en en implantant des sains dans le
sein des mâles, leur redonnant ainsi le pouvoir génésique usurpé in illo tempore seon les Papous, par les
femmes ? Des injections d’hormones leur
ouvriraient la voie de cette lactatio
agravidica (Guerci, 1994) qu’on a observée chez des ménopausées qui se sont
remises à allaiter des petits. Sortis du frigo en l’an 2.175,009, ceux
qui ont pu se permettre le luxe d’une cryogénisation, risquent de tomber non
pas comme un cheveu dans une soupe amazonienne, mais dans une civilisation où
la distinction du sexe aura disparu avec la sexualité elle-même. L’humanité ayant alors pris sérieusement en
main son évolution bien au-delà de la seconde révolution darwinienne (Tort,
2020), l’appareil génital, faute de fonctionner, serait devenu tout aussi
résiduel et redondant que le pelvis de la baleine. Et puisque tout le monde vivant enfin comme
les anges du Ciel mais sur Terre, plus besoin pour les uns de se marier pour se
faire servir à table par les unes – à supposer qu’on s’attablera encore autant
à la fin qu’au début de l’anthropogénèse.
Caricature cynique ? Sans
doute ! Mais il sied à ceux et à celles qui, en incriminant des
inégalités (entre autres sexistes), projettent une Fin du Monde à toutes fins
égales, nous disent plus clairement que les contributions à ce numéro à quoi une
culture égalitaire pourrait bien ressembler… à moins de rétorquer avec St Paul
que le Paradis retrouvé est inimaginable.
En attente de ce
millénaire égalitariste, des interventions intempestives ont malheureusement
tendance à produire le contraire de la libération! Ainsi pas mal de « projets femmes »
(dont celui de la culture des tomates par les ménagères béninoises (p.93sq), en
dépit des bonnes intentions à leur origine, au lieu de les libérer les privent
de temps libre et renforcent les stéréotypes de la mère dévouée et de l’épouse
industrieuse.
L’« empowerment » économique des femmes, en plus d’être
souvent un leurre (pour une villageoise qui réussit à rivaliser avec les
matrones qui monopolisent les marchés urbains, 99 autres ne mettent que les
orteils, et encore, sur la première marche de l’échelle financière), ne fait
que confirmer l’économisme au cœur de l’occidentalisation du monde. Puisque Jésus avait tout pouvoir en horreur
(Ellul, 1974), même l’arrivée d’une papesse noire au Vatican n’aurait pas rendu
la papauté moins anathème à ses yeux.
Qu’on ait une bonne femme au lieu d’un mauvais homme à la tête du FMI
n’a pas rapproché davantage Davos de Porto Alegre - du moins de l’avis des
altermondialistes. Le développement
étant foncièrement un phénomène de croissance économique, y impliquer davantage
les femmes plutôt que de les engager dans la décroissance risque de ne rien changer à une donne mondiale de plus en
plus kamikaze.
**
*
*
Hors Culture,
Hors Famille linguistique, Hors Plafond paradigmatique, Hors Horizon herméneutique (c’est du pareil au même) il ne peut rien y
avoir de facto. « De fait »
- c’est le cas épistémologique et étymologique de le dire. Car loin d’être déjà objectivement là en
dehors de tout point de vue subjectif, les faits, les facta de facere ou
« faire » sont toujours, en définitive, des construits et donc des
choix culturels. Or le fil conducteur qui relie les contributeurs
de ce numéro est celui d’une option en faveur du fait de l’Homo aequalis contre l’optique du fait de l’Homo hierarchicus.
Nous l’avons
dit : pas d’anthropologie sans logique humaine, et il est sans doute plus
facile de la faire quand l’humain s’identifie à deux plutôt que neuf éléments
(Héritier, 1977) et surtout quand, symétrie sexuelle oblige, l’humain est, pour
l’essentiel, un. En tant
qu’anthropologue je n’ai pas à consacrer une logique humaine à base d’une
symétrie substantielle et encondamner d’autres foncièrement asymétriques. J’ai
à faire état de leurs irréductibles complexités et à faire écho aux dires des
plus intéressé(e)s avant d’en dire ce que je pense et surtout avant de leur
faire dire ce qu’ils n’ont pas pu mais auraient dû en principe dire. Parlons d’abord de cette dernière
obligation. Certes, puisque personne ne
sait jamais exactement et entièrement ce qu’il a voulu dire (Polanyi, 1957) et
puisqu’un interlocuteur peut mieux comprendre ce qu’un locuteur a voulu dire ou
écrire (Gadamer, 1975), l’anthropologue n’est pas obligé de prendre à la lettre
le dire d’autrui. Néanmoins, avant de
solliciter le pardon pour des informateurs qui ne savaient pas où ils voulaient
ou auraient dû en venir faute de pouvoir plonger dans les profondeurs
freudiennes ou d’invoquer des structures lévi-straussiennes, il y a lieu de
chercher à comprendre et même à justifier leur parler explicite et leurs
positionnements déclarés. Quand, par exemple,
des vieux WaKonongo m’ont raconté les larmes aux yeux comment lors de
l’épidémie de la maladie du sommeil qui risquait de les emporter dans les
années 1920, ils furent sauvés par l’acharnement dévoué d’un médecin colonial,
le Dr Maclean, au risque de sa vie et
dans des conditions pénibles, qui suis-je, avec une noire américaine des plus
marxisantes (Singleton, 1984), pour incriminer ce brave écossais de complicité
objective avec l’impérialisme britannique et pour affliger les WaKonongo d’une
naïveté primesautière aussi peu critique qu’aliénante ? Après tout on peut soigner les blessés de
guerre tout en croyant qu’il serait mieux de faire l’amour ou guérir les
malades du travail tout en pensant que le travail lui-même est une
maladie. Quand ma meilleure moitié
déclare préférer « spépier » (comme disent les Wallons) la
« carcasse » du poulet (p.34) et laisser les cuisses et à la poitrine
à d’autres ou me dit adorer « des produits lactovégétariens » (p.61)
qui suis-je de nouveau pour la décourager de prendre pour une préférence
proprement féminine (ibid.,) ce qui ne serait en fait qu’une mystification
masculine ? On peut toujours penser
après coup que la perversité masculine finit par induire des effets imprévus
mais bénéfiques : en mangeant moins de viande et beaucoup plus de légumes,
l’espérance de vie de nos dépassent sensiblement la nôtre ! Mais n’y a-t-il pas lieu de penser d’abord
qu’on peut tout simplement aimer cuisiner et faire de la couture gratuitement
pour les siens et que ce vécu existentiel jouit d’une irréductible épaisseur
phénoménologique qui l’excipe de sa réduction à un lavage masculin de cerveau féminin ?
Quand même Bataille (1965, 246) accepte
que l’élan mystique n’est pas automatiquement de l’érotique sublimé, en
profitant du dévouement conjugal fais-je autrement qu’encourager cyniquement
une rationalisation qui me sert tout en desservant autrui ? On peut trouver avec les auteur(e)s que la
notion de « nature » étant gratuite, elle ne mérite que des
guillemets en anthropologie (p.56, 78). Mais cela doit-il nous empêcher de
penser que « cuisiner pour la famille » même s’il n’est pas
« naturellement » gratifiant pour les femmes « du point de vue
émotif et esthétique », pourrait l’être culturellement ? Mes filles et belles-filles qui prennent
manifestement plaisir à nourrir leurs bébés ne sont-elles que des pions
manipulés à leur insu par des gênes égoïstes ? L’élan évolutif qui en
culture humaine a transformé l’exclusion des faibles en l’inclusion de tous, ne
fait-il pas émerger en continu des phénomènes inédits, dont l’amour et le
dévouement, intrinsèquement
irréductibles à des questions d’un partage équitable du pouvoir de
domination ?
Pour moi, la
tâche primordiale de l’anthropologue consiste à redire autrement ce que ses
interlocuteurs lui ont dit et fait comprendre à leur manière. Tout discours supplémentaire faisant
appel entre autres à l’inconscient ou à des structures et des fonctions est
plus son affaire avec les siens que l’affaire des plus interéssé(e)s. Tôt dans ma carrière je fus frappé par la
sagesse tardive de Fei Hsiato-t’ung. Ce
vieux disciple chinois de Malinowski a fini par renoncer à faire du terrain
chez ses compatriotes paysans, se contentant de cultiver la terre avec eux. Car étant bien au courant « de leurs
systèmes de parenté, coutumes matrimoniales et habitudes alimentaires »,
ce qui leur importait le plus était « améliorer leur qualité de vie »
(Sanchez, Wong 1974 : 780). Ce qu’un
Général a pu déclarer à propos des indigènes de Québec n’est pas à la portée du
simple anthropologue. Il ne me serait
jamais venu à l’esprit de proclamer à mes WaKonongo « Je vous ai
compris ! » - surtout pas si cela voulait dire : « mieux
même que vous ne vous êtes compris ».
Le fait de redire autrement ce que des interlocuteurs vous ont dit ne
veut pas dire qu’on a mis le doigt sur un fin fond explicatif qu’ils ignoraient
et donc n’auraient jamais pu exprimer. Reformuler dans un jargon académique des
phénomènes qu’on a observés ou auxquels on a participé n’est pas en rendre
foncièrement compte mais ajouter une généralisation de plus à un jeu de langage
axé autour de généralités plus ou moins banales. Le poète qui voit les rayons
de l’aube qu’il a vécue comme des doigts dorés, tout en étant à côté de la
plaque d’une terre qui tourne autour du soleil, dit autant sinon plus que le
prosateur scientifique. En disant que WaKamando, l’adorciste résidente de mes
WaKonongo, fonctionnait comme une psychothérapeute de groupe et que les propositions
des esprits libéraient les femmes du cru davantage que les propos des
expatriées émancipées, je n’ai pas avancé plus loin vers la réalité quintessentielle
des choses vécues ou ne suis pas descendu plus profondément dans la
compréhension objective de la raison d’être de la possession : j’ai tout
simplement cherché à me faire mes idées en la matière et à les faire (re)connaître
par des gens qui se trouvent sur la même longueur d’onde que moi. Sans nécessairement taire l’essentiel en se
replongeant avec Fei dans l’existentiel, il ne faut pas trop s’éloigner des
évidences empiriques, au risque de prendre des rêves analytiques pour la
réalité du commun des mortels. De
l’inégalité vécue par la plupart des femmes enquêtées à l’inégalité conçue par
des activistes anthropologiques il y a un pas que les premières n’ont pas
toujours intérêt à franchir dans l’immédiat.
C’est du moins
la conclusion que mes expériences pastorales dans des milieux prolétaires et
paysans dans les années 1960 ont imposée à mes élucubrations en la
matière. Dans la décennie suivante, j’ai
eu à publier les résultats d’enquêtes à propos d’un phénomène que du dehors on
décriait comme de la « religiosité populaire », mais que, l’ayant
vécu du dedans, j’ai fini par décrire comme la Religion du Peuple. En conséquence des réformes entre autres
liturgiques de Vatican II, le clergé, du haut en bas, du Pape et des évêques
jusqu’au curé de campagne ou de paroisse urbaine, se voyait obligé de protéger
leurs ouailles à la fois des vieux dinosaures traditionnalistes et des jeunes
loups modernisants. Mais réfléchissant
sur mes expériences pastorales entre autres dans un bidonville romain, un
village ujamaa et les communautés
chrétiennes du Nigeria à la sortie de la
guerre du Biafra, je me suis rendu compte que le Peuple n’est jamais là où,
aussi bien d’en haut qu’à côté (que ce soit à droite ou à gauche), on l’imagine
et voudrait qu’il soit. A Rome, les
membres locaux du Parti Communiste qui ne mettaient jamais les pieds dans la
minuscule chapelle construite à leur intention par une riche propriétaire du
cru, participaient volontiers aux pèlerinages que j’organisais à Santa Rita di
Cascia ou à la Madonna di Pompei et me demandaient si je ne pouvais pas
téléphoner à Padre Pio pour régler l’un ou l’autre problème concret ; en
Tanzanie, mes paroissiens paysans n’étaient nullement intéressés par la Virginité
de Marie que le Vatican défendait bec et ongles, mais étaient aussi demandeur
des messes à la Vierge pour la pluie que leurs pendants des villages musulmans
de l’Anatolie de rites du même gabarit (Makal 1978 : 210sq). Si j’avais
intitulé mon rapport de mission au Nigeria Laisse
partir mon Peuple c’est que chaque groupe enquêté cherchait à
promouvoir la logique et le langage du lieu qui lui était propre : les
évêques se plaignaient de la pression exercée sur eux par le nonce apostolique,
les curés se sentaient brimés dans leurs élans évangéliques par les évêques,
les fidèles plutôt que se laisser faire dans des organisation d’Action Catholique
instrumentalisées par le clergé, créaient leurs propres associations
parallèles, les vieux se lamentaient de ne plus être respectés par les jeunes
et ceux-ci pestaient contre les carcans coutumiers dans lesquels les notables
continuaient à les coincer.
Tout le monde
est le Peuple subalterne d’un dominant hégémonique ! On peut même imaginer qu’un Pape prêt
personnellement à tolérer des IVG thérapeutiques se sente un peu
« Peuple » par rapport à un Dieu qui tient à ce qu’on ne touche
absolument pas à la vie qu’Il donne.
Echaudé par ces
rencontres avec des Peuples revendiquant le droit d’occuper le lieu qui,
jusqu’à preuve manifeste du contraire, leur semblait convenir, comment ne
pourrais-je ne pas me méfier des projets de délocalisation intempestive,
surtout quand ils sont le fait de ceux qui ne sont pas du Peuple à
déménager ? C’est un fait, par
exemple, que les femmes ont été en gros désarmées depuis que les hommes se sont
mis à chasser (p.25, 62). Mais en
détail, non seulement l’hypothèse d’un seul et unique mode de chasse-cueillette
a fait long feu (Ingold, Riches, Woodburn : 1988), et je ne vois pas
pourquoi le « Hunting Hypothesis » devrait se transformer en la thèse
du droit des femmes à être aussi violentes que les hommes envers d’autres
vivants puisqu’il y a des sociétés foncièrement non-polémiques (Montagu :
1978). Un problème que l’égalitariste
peine à expliquer est pourquoi les Esclaves mettent tellement de temps à se
révolter contre leurs Maîtres et les conditions que ceux-ci leur font,
notamment en matière d’alimentation. Prenant
le contrepied d’un Homo economicus toujours en quête de sous illimités et de
satisfactions sans fin, Crozier et Friedberg (1977) avaient déjà établi que les
hommes, tout en ne se contentant pas du strict minimum, ne cherchaient que
rarement le maximum. Se pourrait-il que la plupart du temps la plupart des gens
n’ont pas tout à fait tort de trouver que leurs comptes sont pour le moment
relativement bons, qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, que la révolution,
du moins dans l’immédiat, ne profite que rarement au peuple ? Et si en règle générale le Peuple était tout
simplement plus réaliste que défaitiste ?
Puisque j’ai du mal à trouver que la religion de mon peuple romain
n’était qu’un palliatif opiacé ou qu’en profitant de la médecine coloniale le
peuple konongo s’était suicidé objectivement, je serais tenté de voir dans la
poignée de femmes camerounaises (p.133sq) qui osent manger des gésiers des
mutantes marginales plutôt que des porte-parole d’un mouvement de masse.
Entre la
répression intolérable du tyran impitoyable et la révolution radicale des
damnées qui n’ont plus de terrains à perdre, il existe un tas de
d’alternatives. Elles ne sont pas toutes
des pis-aller aliénants. Certaines seraient
à apprécier comme des tactiques dont parle de Certeau (1980). Les femmes Konongo, grâce aux demandes de
leurs esprits, se payaient la tête de leurs maris de la même façon que les
épouses Woyo (du Congo), sans mot dire, se faisaient bien comprendre de leurs
époux en leur présentant la nourriture dans des pots aux couvercles munis de
figures proverbialement éloquentes. La ruse peut être plus payante que la
rupture (Latouche, Singleton : 2004). Les rapports humains n’étant pas
tous à base d’un pouvoir aliénant n’ont pas nécessairement lieu entre dominants
et dominé(e)s. Bien que l’exception
confirme la règle démocratique, il peut y avoir des dictateurs éclairés. Il n’y a pas de monarque plus absolu que le
Pape François, mais il faut être de mauvaise foi pour trouver à redire à propos
de son encyclique magistrale sur l’environnement. D’autre part, il y a
des démocraties intraitables – dont celles qui font mourir et se suicider des
Grecs faute de médicaments et d’espoir.
Bien qu’ils n’osent plus citer Marx, les intellectuels de gauche tendent
à conjuguer les rapports de genre avec le pouvoir (p.194) et à télescoper
« différence » et « discrimination ». Or, avant d’en
arriver là, les phénomènes parlent plus souvent que les militants indignés ne
l’imaginent de relations humaines à base d’autorité recevable et d’une
plurilocation salutaire.
A priori, les logiques
humaines ont lieu entre deux extrêmes : l’égologique et l’allologique (de allos ou « autre » en grec[5]). A
posteriori, au solipsisme substantiel de la modernité occidentale répond le
« naître et être avec » de la plupart des autres cultures
humaines. A l’ego essentialisé des
philosophes (tel que le soi tout seul de Descartes ou la monade de Leibnitz
métaphysiquement close en elle-même) répond l’acteur individuel qui, de
Rousseau à Rawls en passant par Renan, choisit éventuellement de se lier
contractuellement (et donc après coup et par pur intérêt personnel) à d’autres « en
soi » tout aussi foncièrement autonomes.
Par contre, la plupart des peuples non-occidentaux n’ont pas attendu
Husserl & Cie pour reconnaitre que le réel étant d’emblée épistémologique
et d’office ontologique relationnel, l’un n’allait jamais organiquement sans
l’autre. Que l’autre soit autrui ou autre que l’humain tel que localement vécu
et conçu, l’important est que le rapport et l’apport allologique est toujours
conçu et vécu de façon asymétrique. Se
faisant moins d’illusions idéalistes que le Moderne, le Mukonongo (pour ne pas
dire le Primitif tout court) prenait comme allant de soi que l’identique à
l’identique est matériellement, moralement et métaphysiquement impossible. Des haches fabriquées en série par le même
forgeron étaient tout aussi distinctes que des grains de sésame ; les jumeaux n’étaient pas égaux puisqu’il y
avait un aîné et un cadet ; et des pratiques entre autres d’infanticide et
la virilisation sociale de la ménopausée parlaient d’une conviction, en
l’absence de toute notion d’une nature humaine commune, que seul le vieux
devenait enfin humain ; quant à disparaître dans le divin (ou le néant),
puisque cela représenterait une confusion cauchemardesque le MuKonongo n’en
rêvait surtout pas.
En aval,
s’agissant de relations spécifiques, il se peut qu’il y ait des exceptions apparemment
symétriques à la règle asymétrique.
C’est ainsi que Marion (1998, 2010) réduit l’échange économique du
donnant-donnant équivalent à quelque chose de secondaire par rapport au don
gratuit à sens unique. Mais en amont
allologique, l’asymétrie est en principe absolue. Néanmoins, en pratique, l’égalité légale
représente un garde-fou conventionnel contre des abus éventuels tels que la
prostitution et la pédophilie, l’apartheid ou pire encore Auschwitz. Bien qu’à base d’une notion ethnocentrique de
l’humain émanant de la tradition gréco-latine et judéo-chrétienne, les Droits
de l’Homme peuvent aussi limiter les dégâts dus à des imaginaires et
institutions inégalitaires, quitte à tempérer leur égologie excessive aux yeux
des non-occidentaux ((Singleton, 2000) par des ajouts allologiques tels que le
droit des collectivités ou le droit de regard sur des agissements à
l’égocentricité équivoque. Les
sages-femmes konongo par exemple, tout en pratiquant l’infanticide en éliminant
dès leur naissance des handicapés qui risquaient d’hypothéquer le bien commun,
auraient trouvé un point trop loin le droit de la femme occidentale de gérer
son corps sans aucun égard pour autrui, entre autres soit pour avoir son bébé soit pour s’en défaire (Memmi,
1996). Du point de vue de l’analyse, le
tout est d’admettre que le seuil établi par un Ricœur entre la névrose et le
psychopathologique doit nous faire penser qu’un saut similaire bée entre le
dernier cas limite et le premier cas hors limite. Cette grille permet de distinguer une
asymétrie alimentaire à la limite de l’acceptable d’infâmes pratiques affamantes.
Les
contributions à ce numéro du Journal me
paraissent osciller entre les extrêmes.
D’un côté, l’égologie néo-libérale qui, en réduisant la responsabilité
au seul niveau individuel, évacue l’altérité du contexte social est dénoncée
(p.85). De l’autre, l’existence éventuelle d’une allologie oblative ne semble
guère envisagée - l’altruisme maternel
se trouvant télescopé avec une naturalisation euphorisante de l’esclavage
domestique (p.93). Quand le dévouement
désintéressé n’est qu’une illusion aliénante ou du profit non déclaré ; on
n’est pas loin du soupçon bourdieusien quant à l’irréductible épaisseur des
phénomènes de gratuité et de générosité, d’affection et d’amour (Singleton, 1999,
2009). Pour certains, l’idéal de
l’égalité égologique se conjuguant avec une justice distributive élémentaire,
il rendra des téléthons larmoyants et autres collectes pathétiques redondants
et révèlera l’incongruité intrinsèque de
la charité chrétienne ou l’aumône musulmane. En principe, tout le monde, homme
et femme, au Sud comme au Nord, devrait pouvoir, comme disent les Belges, tirer
son plan tout seul comme un grand. Le
projet d’une allocation universelle à titre individuel destinée à satisfaire
l’essentiel des besoins égologiques laisserait plus d’un MuKonongo rêveur, non
seulement à cause des milliards d’Asiatiques qui y auraient droit, mais parce
qu’il préférerait personnellement favoriser les représentants du collectif et
de l’associatif (les chefs de famille, les dirigeants de confréries). La solidarité « primitive » est
allologique, la sécurité sociale égologique (Singleton, 2016).
Puisque je n’y
ai pas mis le pied, je veux bien admettre que l’asymétrie intersexuelle en
matière alimentaire vécue par les auteur(e)s sur leurs terrains respectifs,
quoiqu’acceptée faute de mieux par pas mal des plus concerné(e)s, était devenue
inacceptable pour certain(e)s. Le mieux en question (la grâce chrétienne, le
développement capitaliste, la modernité féministe…) peut être diversement
apprécié : rejeté par les uns, ignoré par les autres ou remisé aux
calendes grecques par les réalistes ou les résignés. Mais je ne parlerai ici que des cas
d’asymétrie acceptable puisque redevables d’une autorité agréée sinon toujours
agréable et non pas d’un pouvoir qui s’impose par la force des choses ayant
pour nom, entre autres, la loi ou la police.
Des cas massivement exemplaires ne manquent pas, de l’autorité parentale
au consensus des sages et des compétences des spécialistes (du plombier
polonais ou du médecin traitant) en passant par l’apprentissage d’un métier ou
le jury de thèse et autres comités de lecture.
Un exemple me parait particulièrement éloquent puisque j’en ai parlé du
début à la fin de ma carrière (Singleton, 2015)) : c’est celui de la
structuration gérontocratique de l’aristocratie. A un certain moment et dans certains milieux
faire confiance tous azimuts aux vieux (geron)
était ce qu’il y avait de mieux (aristos)
à faire pour tout le monde, jeunes et femmes inclus. Chez les WaKonongo, les « senior
citizens » constituaient tout au plus 5% et non pas, comme c’est désormais
le cas chez nous, 35% de la pyramide démographique. La chrono-logique konongo n’ayant pas encore
basculé d’un passé parfait à un futur toujours de en plus parfait, c’était
encore les vieillissants qui savaient par expérience où se trouvaient les
meilleures terres et où se terrait le gibier, comment faire face aux joies et
aux peines de la vie quotidienne et, étant sur le point de les rejoindre, la
manière la plus profitable de négocier un bon prix avec les nus-propriétaires
des ressources que nous appelons « naturelles » (la fécondité des
femmes, la fertilité des champs, la prodigalité de la forêt). Dans cette Afrique des villages chère au regretté Marc Ela, plus on
vieillissait plus grandissait son utilité publique. Tout en apportant leur contribution à la
survie collective, les jeunes et les femmes trouvaient qu’il était dans leur
intérêt le plus obvie de reconnaître que sans le savoir faire, le savoir vivre
et la sagesse des aînés leur existence même serait sérieusement
hypothéquée. Cette reconnaissance
prenait la forme d’un respect pour les vieux à la limite de l’obséquiosité à
mes yeux et se manifestait par un tas de pratiques qui me paraissaient aussi au
début exagérées : le fait qu’on leur offrait les meilleurs morceaux de
viande lors des repas et les premières calebasses de bière lors des fêtes, ou
qu’il allait de soi, lors des prises de photos, qu’ils se mettent au premier
rang et trouvent même qu’il était superflu de photographier leurs enfants et
leurs épouses.
Tout cela,
n’ayant rien de bien religieux, a par contre tout d’une simple symbolisation ou
mieux sacramentalisation de la séniorité. C’est donc à tort ethnocentrique
qu’on parle de sa prolongation sans discontinuité en direction des
morts-vivants comme d’un « culte des esprits ancestraux ». Si de religiosité il s’agit, cela ne peut
être que dans le sens d’une réciprocité asymétrique mais obligée (ligare) en réseau à l’égard d’interlocuteurs faisant figure de et
fonctionnant comme un peu plus qu’humain (selon, bien sûr, le vécu et conçu
local de l’humain). Comme j’ai pu le
constater lors de mes travaux de terrain au Congo (Singleton, 1986), cette
obligation cesse d’être de rigueur quand, suite à un changement
socio-économique fait du passage en plus ou moins grande partie vers les jeunes
sinon vers les femmes du savoir et donc du pouvoir et du droit à l’avoir, la
gérontocratie perd sa raison d’être effective et rend par le fait même son
expression cérémonieuse (pour ne pas dire « rituelle ») redondante. C’est
dire que la dynamique asymétrique fonctionne comme des ascenseurs : les
Maîtres d’un jour (les vieux, les hommes, les rois…) devenant le lendemain des
Esclaves… l’illusion de l’égalité étant l’instant où les cabines se
croisent ! Il n’empêche que pendant
des siècles, voire des millénaires, l’asymétrie intergénérationnelle avait fait
ses preuves darwiniennes.
C’est pourquoi
la grille d’une asymétrie acceptable me paraît mieux à même que son pendant
sexiste de faire le sens le plus phénoménologiquement plausible du manger
maison et konongo tels que je les ai connus.
Il se peut qu’à l’insu de mon plein gré je plaide pour ma chapelle
sinécurisée. Plus de 90% des Nigériennes interrogées lors d’une enquête en 1973
auraient voulu, le cas échéant, se voir réincarnées en mâles ! Mais à moins que je ne prenne mes rêves pour
la réalité, je n’ai pas l’impression que les femmes cuisinières que j’ai
côtoyées en Europe ou en Afrique de la génération de ma mère à celle de mes
filles en passant par celle de ma meilleure moitié, ont vécu (in)consciemment
en Esclaves impitoyablement exploitées par une race de Maîtres à l’égoïsme
impénitent. Loin de moi l’idée que
les hommes ne pourraient pas faire plus à la cuisine et partager plus
équitablement les plats de choix. En
anthropologue, je cherche tout simplement ; avant d’embarquer dans des
escalades idéologiques, à épouser au plus près des épaisseurs qui ne me
paraissaient pas toujours, loin s’en faut, parler d’inégalités flagrantes
sciemment imposées par des dominants intraitables.
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Zabus, Ch (ed)., 2008. Fearful Symmetries. Essays and Testimonies around Excision and
Circumcision, Amsterdam, New York, Rodopi.
[1] Cf. Tort (2001) et Laurent (2010) pour une anthropologie de la
beauté.
[2] En 1979 j’avais fait le bilan de mon engagement pour l’émancipation
féminine/
[3] Je parle du darwinisme vulgaire et non pas de la vulgate
(r)établie, à raison, par Tort.
[4] A supposer qu’on puisse opposer ainsi un croire subjectif et
mystificateur (même s’il s’agit de bonne foi) à un savoir objectif et impartial
(celui entre autres de l’anthropologue) – une supposition aussi
épistémologiquement équivoque qu’ethnocentriquement circonscrite. Dans le domaine de l’épistémologie, bien
avant que Ricœur (1974) n’ait montré que la science même est une idéologie
parmi d’autres, Polanyi (1958) avait identifié un coefficient personnel dans
tout acte de savoir. Dans le champ de l’ethnologie, Kopytoff (1981) avait
incriminé le côté excessivement ethnocentrique de l’imposition sur des cultures
africaines de la dichotomie occidentale entre
« to believe » et « to know ». Rien de plus scientiste que la pensée sauvage
selon Lévi-Strauss (1962) et pour Needham (1972) rien de moins sûr que
« belief » soit un phénomène aussi univoque qu’universel.
[5] Pour ne pas trop compliquer mon argument principal j’ajoute en note
qu’en dépit de l’invention de l’écrit et l’apparition de l’électronique, l’allologie
reste tout aussi allophonique qu’allophanique : la plupart du temps
l’autre (allos) non seulement me
parle (phone « voix ») mais
se manifeste (phainesthai)
sans doute
pas avec l’extraordinaire intensité du sacré (l’hiérophanie dont parle Eliade)
mais de sa propre initiative et avec son intentionnalité identitaire
idiosyncrasique, irréductible à la mienne.
Inutile d’ajouter qu’à cause de son ethnocentrisme congénital, mon
correcteur d’orthographe refuse obstinément mes néologismes
barbares !
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