jueves, 19 de diciembre de 2013

TAMBILLO

TAMBILLO, SAN LORENZO Y LA BIOMASA
Carlos E. Montufar S.



Tambillo es parroquia rural e insular del cantón San Lorenzo del Pailón, ese dinámico pueblo que lleva el nombre del santo aquel que murió quemado a órdenes del imperio romano en el año 258. Dícese que este santo escondió el Santo Grial, la copa usada por Jesús en la ultima cena, antes de morir, pero esa historia no abordare hoy.
Tambillo tiene 1857 ciudadanos vinculados en 371 familias y un millón de esperanzas, pero también tiene el dolor de la falta de un sistema de eliminación de basura que lo asfixia, que lo ahoga en el pasado.
La basura común puede interpretarse también como biomasa. Es decir, materia orgánica originada en un proceso biológico, espontáneo o provocado, utilizable como fuente de energía. La biomasa de la madera, residuos agrícolas y estiércol es una fuente sustentable de biocombustibles, glicerina, jabón o abono.
Tambillo requiere un proyecto que le permita transformar su basura en energía, allí donde no sabe eliminarla. La tecnología al servicio de la alquimia social que el país requiere en los lugares más recónditos e inaccesibles de nuestra geografía.


SALUDABLE DERECHO

SALUDABLE DERECHO
C. Montufar


..allá donde la Tierra se divide, 
ya bebí todas las aguas...
Ana C. Blum

Leonard street es una calle londinense, que a pesar de no pertenecer al centro metropolitano de la ciudad, guarda el ímpetu de la capital anglosajona. En el año 2004, estuve unas semanas recibiendo un curso de introducción, previo a asumir la coordinación médica de Medical Emergency Relief International en algún proyecto del África central. El curso se realizó en la sede que queda en Londres. Casi lo único que recuerdo de aquél encuentro era la proclama de la salud como un derecho humano fundamental. En las múltiples paradojas, de las cuales he sido testigo, llamó mi atención que una organización benévola y de caridad privada, adhiera a un criterio fundamentalmente estatal. Más aun recordé el nombre de una ONG salvadoreña, que ya en los noventas se denominaba “Médicos por el derecho a la salud”. Con ahínco tomé nota del precepto, al cual, yo también me sumía con voluntad.
Años después, en uno de mis viajes pasaría por Cuenca, ciudad ecuatoriana, que guarda aún más encanto, que su homónima antecesora en España. Allí se desarrollaba el congreso por la salud y la vida, creo era el mes de abril del 2007, yo volvía en vacaciones de una tórrida misión en el Congo.
Aquél congreso produjo la declaración de Cuenca, que proclamaba una salud equitativa, digna y de calidad. Básicamente, se hablaba de la salud como un derecho fundamental del ser humano y su aporte estratégico al desarrollo económico. Un año después, encontraría plasmado en un artículo de la nueva constitución esta misma máxima:
No existía aun traducción al francés de la constitución, pero siendo este párrafo del artículo 32, relativamente pequeño, le traduje y presenté como icono de avanzada en el acceso a los servicios de salud, en el ciclo de conferencias organizado por Medicus Mundi y la dirección de salud de la Republica Democrática del Congo en la ciudad de Matadi. “La salud es un derecho que garantiza el Estado, cuya realización se vincula al ejercicio de otros derechos, entre ellos el derecho al agua, la alimentación, la educación, la cultura física, el trabajo, la seguridad social, los ambientes sanos y otros que sustentan el buen vivir.”
Hoy, 2013, casi una década después, reconozco en la experiencia, que los derechos están fuertemente ligados a los presupuestos. Acabo de leer que el paludismo, que estaba prácticamente erradicado en Grecia en 1974, está resurgiendo debido a los recortes en los servicios de salud pública.
En el recorrido, encuentro palabras y hechos significativos como aquello de reconocer a la mente y al espíritu, a la armonía social con la naturaleza y con el cosmos, como elementos fundamentales de la salud. O como el Dr. Noboa quien al hablar sobre salud mental añadía que esta especialidad ha sido parte de la lucha de los oprimidos por reivindicar los valores humanos, la felicidad perdida y la capacidad de soñar.

De una u otra manera, percibo un hilo conductor, casi invisible, que se desliza en el espacio longilineo, al cual llamamos tiempo; paradójico y afecto al misterio ya veces a la ansiedad del desconocimiento, o como diría Gelman, el juan poeta: «Los arboles tocan la mañana para que sea feliz y eso es un destino y no va a ninguna parte”. 

Copyright C. Montufar

EDICIONES VERSIÓN PAPEL: SALUD Y ECOLOGIA



LA NECEDAD COMO CATEGORÍA DE IDENTIDAD EN EL MESTIZAJE LATINOAMERICANO. (fofo) TEXTO: L'HOMME NOUVEAU. MICHAEL SINGLETON

L’Homme Nouveau est arrivé !

Dr. Michael Singleton
« L’homme est une idée historique
et non pas une espèce naturelle. »
Merleau-Ponty 1945 :199
Ancrage anecdotique
Sur le seuil du grand âge (sinon déjà au-delà !), je ne dois pas être le seul à être de fait, et pas seulement à se sentir, totalement dépassé aussi bien théoriquement que pratiquement par l’électronique en général et par l’informatique en particulier. Les exceptions épinglées par les média (des nonagénaires qui créent leurs sites, des arrière-grands-mères qui surfent plus aisément que leurs petits-enfants), ne font que confirmer la règle: aujourd’hui, sommés de manipuler des gadgets électroniquement sophistiqués, la majorité des seniors ne peuvent que sympathiser avec les Primitifs d’antan, assommés par la magie, entre autres radiophonique, des Blancs.  Chaque week-end notre premier-né, informaticien de son état, remet mon ordinateur en état de marche – sans mot dire, puisque m’expliquer serait peine perdue. Ses frères et sœurs, sachant que mon illettrisme informatique m’interdit l’accès à leur iPods et autres tablettes dernier cri, m’ont offert un GSM avec des grandes touches… dont une pour avertir, le cas échéant, le SAMU. Je me console en voyant que ma femme, jeune retraitée, bien qu’au courant de l’abc du PC Banking, ne sait toujours pas faire fonctionner notre lecteur dvd.
Au mieux, cet apéritif anecdotique aura fait sourire mes lecteurs, sans les persuader pour autant qu’il n’y a pas lieu de faire tout un plat anthropologique et encore moins anthropo-logique de ce qui leur semblera n’être qu’un simple et inéluctable écart intergénérationnel. Certes, depuis que le Progrès a fait basculer la perfection définitive du passé vers un avenir indéfiniment perfectible, les jeunes n’aspirent plus à remplacer les vieux, mais se déplacent vers des horizons nouveaux.  Néanmoins, n’est-il pas désormais normal qu’à la mentalité et la maîtrise de la génération sortante succède leur équivalent chez la montante ?  Pas besoin, donc, de se faire du mouron, ni surtout de changer de cap anthropologique : le passage du paléolithique vers le néolithique ou l’apparition de l’électronique et la disparition du mécanique ne sont que des modifications purement culturelles d’une nature humaine intrinsèquement inchangée et inchangeable depuis que l’homme est homme.  Loin de métamorphoser substantiellement et à chaque fois « un fond humain universel » (Marchal 2013 : 205), ces simples variations sociohistoriques ne feraient que l’augmenter et l’améliorer de manière accidentelle.
Pour la plupart des collègues anthropologues, occidentaux ou occidentalisés, que j’ai côtoyés en ami, cette continuité transculturelle, synchronique ou diachronique, d’une seule et unique nature humaine semble aller tellement de soi qu’il ne s’agit même pas d’une thèse.  Il y a pourtant là quelque chose de paradoxal.  Car en dépit d’un constructivisme qu’ils imaginent radical, pour l’essentiel, l’objet même de leur discipline, l’homme, se trouverait ainsi foncièrement Hors Culture, du côté de la Nature.  Il est désormais acquis en anthropologie qu’il existe des cultures qui ignorent des réalités en apparence aussi naturelles que le mariage et la religion, du moins telles qu’il a été convenu de les définir dans l’arène délimitée par le monde universitaire occidental. Il est même accepté qu’en l’absence d’un Réel de Référence (sur)naturel, une hiérarchisation prétendument objective des institutions et idéologies culturelles ne peut être qu’une illusion d’optique ethnocentrique. Néanmoins, à moins que je me trompe, le relativisme culturel s’arrête net devant le présupposé absolument naturel de l’humain ut sic et en soi.
Pourtant, le comble pour un anthropologue qui voudrait être complètement conséquent ne serait-il pas d’identifier l’humain à une hypostase transculturellement idéalisée, mais qui de fait oscille entre   un organique infra-culturel et un ontologique supra-culturel?  Par les temps qui courent, comment ignorer que la notion classique d’espèce pose autant de problèmes en biologie qu’en philosophie le concept pérenne d’essence (Singleton 2012) et que, par conséquent, le réellement réel est fait d’une suite incessante de singularités intrinsèquement irréductibles les unes aux autres?  C’est pourquoi je propose que de la même manière qu’il n’existe pas de maladies mais seulement des malades, il n’y a que des hommes et aucunement une humanité… au point que logiquement à chaque moment tout individu deviendrait autrement humain.
Malgré le fait que cette hypothèse, comme nous allons le voir, soit plus phénoménologiquement et philosophiquement plausible que son contraire, elle est loin, pour dire le moins, de faire encore  l’unanimité ! On croit pouvoir l’infirmer en affirmant que l’Homme moderne aurait pu faire un enfant à la Femme de l’Homme de Neandertal.  Mais en parlant ainsi on n’aurait prononcé qu’une parole purement physiologique et non pas proprement anthropologique.  L’anthropologue, surtout lui, ne devrait pas confondre une éventuelle compatibilité naturelle entre individus, que ce soit dans les temps historiques ou l’espace social, avec le fait de se retrouver sur la même longueur d’onde culturelle.  Des données sensiblement identiques peuvent donner à penser tout autrement. Le matériel que j’avais cueilli en 1970 sur la sorcellerie me faisait penser alors à un frein au développement ; dix ans plus tard, j’ai réinterprété le refus de mon voisin de se servir de la tôle ondulée par peur de la jalousie cannibale des aînés comme un facteur de solidarité intergénérationnelle: personne n’aura de la tôle tant que tout le monde n’est pas en mesure d’en profiter.   Là où moi je suis programmé à y percevoir une table, dans le même objet un Pygmée ne verra qu’une case mal faite.  C’est dire que les data physiologiques (des yeux, des bras, des organes sexuels etc.) sont toujours données à quelqu’un pour être (f)actualisées avec les moyens de l’un ou l’autre bord culturel.  A l’encontre du scientifique Changeux, pour le philosophe Ricœur (1998), le neuronal et le génétique ne sont pas les causes directes, mais de simples corrélats du fait humain.  Plus anthropologue que la plupart des anthropologues, Balzac, dans son avant-propos à La Comédie Humaine, écrit que les différences entre un savant et un soldat, un prêtre et un politicien seraient aussi considérables que celles entre le loup et le lion et l’âne, le requin et la brebis.  N’en déplaise à Morin & Cie (1974), l’existence d’espèces sociales de la même « nature » que leurs pendants zoologiques viendrait à bout de l’Unité de l’Homme.
Si « être humain » est foncièrement une question de physiologie et de philosophie (posséder un corps matériel et une âme spirituelle), alors les anthropologues les plus authentiques seraient les anatomistes et les métaphysiciens.  Là où eux se préoccuperaient en profondeur de la logique humaine permanente, les anthropologues académiques ne s’occuperaient que de la dimension socio-culturelle d’une réalité autrement plus fondamentale : une seule et unique nature, intrinsèquement et substantiellement identique, peu importe leur culture, chez tous les membres de l’espèce depuis son apparition ex abrupto il y a +/- trois millions d’années et sa disparition (en apothéose transformatrice ou en apocalypse destructrice) d’ici, en gros, le même laps de temps (Singleton : 2001).  
Si j’ai parlé d’une apparition ex abrupto de l’ensemble humain, c’est que dans la perspective non culturaliste ou bien on est, ou bien on n’est pas homme. On ne peut pas plus devenir graduellement homme que la flèche de Zénon ne peut atteindre son cible. Au bas mot scientifique, différence spécifique oblige, à supposer (dato non concesso), qu’on le trouve, le chaînon manquant ne peut pas être moitié animal moitié homme, ni même encore 1% post-primate et 99% pré-humain. Ensuite, distinction spéculative oblige, Descartes n’a fait que mettre le point philosophique sur un « i » théologique : ni le soi solipsiste ni l’âme spirituelle ne peuvent naître ou être « plus ou moins humain ». Pour ceux qui y croient, en tant que réalité objectivement (sur)naturelle, l’homme, ab ovo, et notamment par l’usage de la parole, est aussi spécifiquement distant des espèces même proches et parallèles que spirituellement irréductible au non humain (Singleton : 2002).  D’où le tollé provoqué par un Singer quand il affirmait, convention culturelle à part, ne pas savoir pourquoi on devrait moins respecter le plus intelligent des primates que le plus irrémédiablement handicapé des humains.  D’où le refus du magistère catholique de mettre le pied sur la pente glissante que représente à ses yeux la proposition faite par certains comités de bioéthique de ne voir dans l’embryon que du potentiellement humain.
Il se pourrait que leur inféodation à l’indo-européen soit pour quelque chose dans le culturalisme inconséquent des anthropologues.  Quand on prend comme allant de soi le fait qu’il y a des noms qui renvoient à des natures substantiellement hors du temps et de l’espace, et à qui advient par surcroît et après coup une mise en route accidentelle représentée par les verbes, on a du mal à imaginer qu’en affirmant « l’homme (est, puis) évolue » on n’a pas reflété la réalité des choses même.  A la limite, les anthropologues pourraient trouver que l’expression hopi « pluviation » est plus phénoménologiquement plausible que la phrase « il pleut ». Par contre, l’une ou l’autre exception à part (tel Kaufmann (2001) faisant écho à Elias), peu d’entre eux pensent devoir remplacer « l’homme » comme produit, par le processus « hominisation ». A proprement parler, avant et après qu’il ne pleut la pluie n’existe tout simplement pas.  N’étant pas une essence en attente d’exister comme événement, chaque pluie est un cas à part entière, et aucunement l’apparition accidentelle ou l’avatar passager d’une Pluie archétypique.  Et l’homme dans tout ça ?  Même combat onto-épistémologique ?
Se retrouvant dans un lieu occidental, les anthropologues sont non seulement piégés par sa langue mais aussi redevables de sa logique.  Dans leur anthropo-logique en particulier, et malgré ses effluves évolutionnistes, trainent des relents du créationnisme judéo-chrétien et de la philosophie gréco-latine.  Pour la Bible, du début jusqu’à la fin des temps, les espèces créées perdurent foncièrement inchangées dans leurs identités naturelles.  Pour Aristote, les êtres restent éternellement les mêmes.  Semper idem, ne varietur : en l’absence de variations fondamentales, toujours identiquement les mêmes choses.  Que dit de vraiment différent ou pense tout autrement celui qui affirme qu’une fois apparue,  la nature humaine ne peut connaître que des modulations purement formelles?  Les jeunes gens sont actuellement plus grands que leurs parents et un paléoanthropologue jésuite, disciple de Teilhard de Chardin, m’a passé des tirés-à-part où il prédisait une brachycéphalisation accrue de l’espèce.  Mais pour la plupart des esprits occidentaux ce ne seraient là que des modifications épiphénoménales d’une seule et unique essence humaine.    A bas Héraclite, que vive Parménide !  Esse et non pas fieri.  Etre définitivement quelque chose une fois pour toutes et non pas devenir autre chose en permanence. 
Or que ce soit du point de vue onto- ou phylogénétique, la thèse d’une nature humaine hors culture n’est ni phénoménologiquement ni philosophiquement la plus plausible.  D’un côté, l’individu, incarné d’instant en instant dans son corps propre, et incessamment incorporé dans sa situation sociohistorique, loin d’ajouter, au cours de sa vie, couche après couche à son ego épais, ne fait qu’entasser sur un soi mouvant des morceaux plus imposés que choisis.  De l’autre, le parcours de l’espèce n’a rien du flot tranquille d’un long fleuve majestueux destiné à combler un océan pacifique, et tout d’un torrent tumultueux qui, de tourbillon en cascade, termine son parcours chahuté pour disparaître, comme l’Okavango, dans les sables d’un delta sans issue. 
A l’instar de la bifurcation de l’humanité elle-même entre le nomadisme et la sédentarité et sans doute à cause de ce clivage même, la logique humaine oscille entre le nominalisme et le naturalisme.  Une suite sans fin de singularités aussi inédites qu’irréductibles et irréversibles versus des sédimentations structurelles, des stabilisations substantielles.  Il nous faut bien choisir entre le discontinu, la distance, la différence qui plaide pour le devenir indéfini, permanent et pluriel du particulier et le continu, le rapproché, l’identique qui parle d’un sens unique et d’une fin définitive.  
Etapes de vie : haltes ou hiatus dans le parcours du combattant individuel ?
Egalité des sexes oblige, je reproduis deux de ces schémas qui campent les étapes de la vie : du bébé rampant, la courbe monte via l’adolescent jusqu’à l’adulte dans la fleur de l’âge pour retomber sur le vieillard clopinant et courbaturé. L’anthropologue ferait remarquer d’abord que le schéma est on ne saurait plus ethnocentrique : en plus d’ignorer ce qui ce passe ab ovo in utero et in articulo mortis (des périodes et moments clefs pour un Sloterdijk et un Heidegger), hors notre modernité laïque, pour un hindou, le début n’est qu’un recommencement et pour un chrétien, l’essentiel a lieu après la fin.  Il reste que pour la plupart d’entre nous, ces images n’auraient aucun sens s’il ne s’agissait du parcours réalisé du début jusqu’à la fin par une seule et unique personne.  Pourtant la séparation entre les figures devrait nous mettre déjà la puce à l’oreille.  Pour l’essentiel, l’adolescence a tout son sens en elle-même et n’est pas une simple étape vers l’apogée adulte.  Mais il y a pire… ou mieux, c’est selon !  Car des littéraires aux philosophes et théologiens en passant par toute la panoplie des sciences humaines, des autorités, et non les moindres, qu’elles soient occidentales ou d’ailleurs, problématisent la métaphore qui fait des âges de la vie de simples haltes sur un chemin parcouru par substantiellement le même voyageur et proposent d’y voir plutôt de véritables hiatus d’où sort à chaque fois un individu à l’identité nouvelle.

Du point de vue purement physiologique, nos corps changent en continu et complètement tous les sept ans et il y a fort à parier que le corps humain d’ici un ou deux millions d’années ressemblera encore moins au nôtre que le nôtre ne reprend celui de Lucy. Puisque les rudiments du pelvis qui lui servait à l’époque où elle marchait sur terre traînent encore dans les boyaux de la baleine, il y a lieu de penser que certains organes qui nous sont encore fort utiles et agréables sont également destinés à disparaître dans leurs formes et fonctionnalités actuelles.  Quid, par exemple, du génital si la procréation assistée était pratiquée non seulement à l’occasion, mais pour toutes les occasions ?  Le témoignage date, mais dans Le Fait Féminin, on pouvait déjà lire en 1978 que le cerveau de la femme n’est pas identique à celui de l’homme. Aujourd’hui, on sait que l’invention de l’écriture et donc de la lecture a créé une aire cérébrale qui « manque » à l’illettré de cultures et de périodes purement orales – mais qui risque de s’étioler si la décision prise par certaines écoles américaines de ne plus enseigner le cursif fait tache d’huile. Les orteils de nos pieds ne servent plus à grand-chose et les Simpsons ne sont pas les seuls héros de dessins animés qui montrent qu’on peut très bien se débrouiller avec quatre doigts. 
Ce ne sont là que quelques exemples à la limite de la caricature.  Ils suggèrent, n’en déplaise à ceux qui croient qu’avec l’arrivée de la noosphère, la biosphère humaine a atteint sa vitesse de croisière définitive, que l’anthropogénèse n’a pas dit son dernier mot corporel. Au bas mot matériel, donc, la discontinuité paraît être la règle.  Les semblants de continuité, parfois consciemment conventionnés (le fait que la main de l’étrangleur ne soit pas identiquement la même un moment après son crime ne nous empêche pas de le condamner) sont produits par la même nécessité de figer le flou du Flux qui aboutit à l’absolutisation indue aussi bien de l’institutionnel (la royauté sacrée) que de l’idéologique (l’infaillibilité papale). 
Sans être le seul, Pirandello est sans doute parmi les auteurs occidentaux qui ont le plus questionné l’existence d’un personnage à l’identité unique derrière les différents masques que nous assumons à tour de rôles.  Uno, nessuno e centomila… en me dépouillant de mes diverses fonctions (paternelle, professorale, bourgeoise, occidentale, masculine…) tomberais-je enfin sur le noyau dur de mon moi essentiel?  Ce serait le cas si le soi faisait figure et fonctionnait comme le cœur d’un artichaut, mais il se pourrait que « je » ne sois qu’un oignon !  En ce cas plus on enlève de feuilles, moins on a en main !
Dans le domaine délimité par la psychologie occidentale, l’oscillation d’un individu entre plusieurs personnalités paraît pathologique à certains théoriciens et praticiens.  Par contre, pour Freud & Cie (et davantage encore pour la compagnie rivale des jungiens), notre modeste ego conscient se trouve coincé entre le marteau d’un super ego pesant et l’enclume d’un « ça » massif.  Tout ça, c’est le cas de le dire, met à mal l’impression que nous avons d’être le seul à piloter notre monoplace comme et où bon il nous semble.   En tant que sociologue, plus conscient encore que la plupart des psys de l’impact multiplicateur d’une allologie primordiale sur notre nombrilisme égologique, Kaufmann (2004) trouve que si Ricœur avait raison de rendre notre intentionnalité identitaire synonyme d’un récit de vie, il n’avait pas assez souligné le caractère foncièrement factice et faussement unificateur de l’exercice : le moi a tendance à ignorer royalement que son air monadique est un bricolage branlant, fait de bric épars et de broc éparpillé. 
Ne pouvant qu’échantillonner très brièvement les sciences humaines qui penchent du côté d’un discontinu radical plutôt que du côté d’un continu profond, je passe, mais tout aussi sommairement, aux philosophes qui pensent en termes de singularités dissociées et non pas de substantialités durables.  S’agissant de la Pensée sauvage, on sait à quel point l’instauration du discontinu est au cœur de la philosophie et pratique mythique du monde (Lévi-Strauss 1971 : 357).  Dès l’apparition de la philosophie selon le propre parler occidental, Héraclite aurait tout aussi bien pu dire qu’on ne remet jamais le pied dans la même personne que dans la même rivière. Arrivant aux temps modernes, il s’est toujours trouvé un fils de la perfide mais pragmatique Albion pour couper les ailes aux envolées essentialistes des concepteurs continentaux ! Hume rétorquait à Descartes, en quête d’un solide sujet pensant, que logiquement le fait de penser aboutissait non pas à un penseur pensant, mais dans l’immédiat instantané, uniquement à une pensée et éventuellement à un alignement atomique de pensées successives. Cogitatio et cogitationes, et non pas un ego cogitans!  Butler (1874 : 13), un fameux théologien anglican du dix-huitième siècle, faisait allusion à cette éventuelle absence de « sameness » (mêmeté) entre deux « successive moments » (instants successifs) pour affirmer qu’il n’y avait rien d’intrinsèquement impossible dans l’espoir chrétien de se retrouver avec un corps glorifié en dépit de la corruption de la chair.  Ricœur a reconnu (1990 : 156) que c’est la reprise de cette proposition humienne par Parfit (1986) qui lui a donné le plus de fil philosophique à tordre autour de ce soi qui de toute façon ne peut pas être lui-même sans que l’autre y soit pour quelque chose… ce qui déjà contredit l’étymologie de l’individu comme « indivis ». 
Hartog (2003) présente cette suite sans fin d’instants évanescents comme le « présentisme ».  Pour moi il pourrait s’agir (et positivement) du vécu nomade.  Si ce choix de vivre pleinement le présent n’implique ni le rejet du passé ni le refus de l’avenir, il tombe comme un cheveu dans la soupe des sédentaires dont la référence autrefois au paradigmatique ancestral et la tension actuelle vers le Progrès, néantisent en principe sinon en pratique la joie de vivre pleinement dans l’immédiat.  Quand, au lieu de représenter une fin en soi, le présent n’est vécu et conçu que comme un entre deux (pénible ou provisoire) du Commencement et de la Fin,  il est difficile d’en profiter, matériellement, moralement et métaphysiquement à fond.
On sait aussi à quel point pour des existentialistes comme Sartre, la réalisation du « pour soi » n’avait rien d’un travail répétitif en chaine et tout d’un ouvrage à remettre incessamment sur le métier. Pour Merleau-Ponty (1945 : 254) la substantialité du sujet et la solidité de l’objet ainsi que l’écart qui les sépare radicalement sont soit une illusion intellectualiste soit une erreur empiriste.  Car elles sont tout à fait secondes par rapport à la primordialité d’une expérience pré-personnelle. Pour les disciples de Wittgenstein (Needham 1972 : 105) le poids de l’anglais courant incline ses usagers à rapporter les expressions ponctuelles de leurs dispositions spéculatives ou sentimentales à des états d’âme censés être permanents en profondeur. Or quand je dis que « j’ai compris », « je crois »,  « j’aime » ou « j’ai peur » qui ou quoi nous dit que cela renvoie à quelque chose d’essentiel qui existe  en continu (« uninterruptedly ») ?  
Si nous ne sommes jamais en direct avec nos états corporels (tels qu’éclatés en étapes dans les schémas illustratifs), ce n’est pas tant parce que le neurophysiologique précède la conscience que nous en avons, c’est tout simplement parce qu’en définitive le corps de tout un chacun, loin d’être une chose déjà là, résulte en continu de (f)actualisations successives. Depuis que les phénoménologues ont montré que le réel est d’emblée et d’office duel ou relationnel (jamais l’un sans l’autre – Marion : 1997), il est exclu qu’on puisse retrouver un en soi corporel fonctionnant comme le socle transparent et primordial de nos rapports matérialisés avec nous-mêmes ou autre que nous-mêmes. A fortiori, l’individu n’est-il pas l’équivalent humain du boson Higgs de l’imaginaire populaire : un noyau primordial, intrinsèquement indivis autour duquel viennent s’agglomérer des particules superficielles, une nature nue qui s’habille après coup selon les goûts du moment.  Par conséquent, il est illusoire d’imaginer qu’un individu puisse avoir une intuition de lui-même : si je me comprends, c’est grâce aux instruments d’intellection mis à ma disposition par mon inculturation continuée.  C’est pourquoi, comme nous allons le voir, n’étant pas un MuKonnogo, il est exclu que je puisse me comprendre comme un « homme-lion ».  
On aurait pu croire que, toute modestie à part, Lévi-Strauss, ayant consacré vingt ans non-stop à la mythologie, ait senti son ego sérieusement épaissi.  Mais c’est le contraire qui lui est arrivé. En partie puisque l’objet de ses analyses, les mythes, ne sont pas l’œuvre de sujets nominatifs, « la consistance du moi, souci majeur de toute la philosophie occidentale » s’est liquéfiée, ne laissant à la place du substrat présupposé qu’une suite de singularités vécue comme des milieux où momentanément des choses (se) passent (1971 : 559).  En France, « la principale innovation conceptuelle du Comité (consultatif national d’éthique) » face à l’interruption de grossesse fut celle de « personne humaine potentielle » (Memmi 1996 : 60).  Personnellement je serais enclin de conclure que à notre conception jusqu’à notre disparition nous actualisons en permanence un potentiel humain sans jamais pouvoir le réaliser pleinement.  
Quid aussi, de l’Esprit hégélien qui ruse avec toutes nos raisons d’être individuelles qui de toute façon, pour Braudel, ne sont que de l’écume ballotée un instant en surface par des lames de fond permanentes, venant briser sur le rivage le visage en sable mouvant de Foucault ?  Avec ces philosophes-là nous ne sommes pas loin de tous ces mystiques qui, même en monothéisme, finissent, à titre personnel, par ne se sentir rien du tout face au Tout qui les absorbe.  Seule une discontinuité verbale masque la continuité effective entre l’élimination de l’ego dans par le panthéisme et l’anéantissement du soi dans le nirvana bouddhiste. 
Avant de passer la parole sur l’identité individuelle à d’autres cultures, un dernier petit mot sur l’individualisme qui imprègne à leur corps défendant l’imaginaire de pas mal d’anthropologues occidentaux, nous aidera à mieux saisir tout ce qui Nous sépare d’Eux.  La révélation judéo-chrétienne est venue apporter plus qu’un grain de sel à l’émergence dans la raison gréco-latine d’une notion sui generis de la personne humaine. Le dualisme simpliste entre matière et esprit qui avait tourné avec Platon au duel manichéen entre l’âme, étincelle immatérielle du divin, individualisée et provisoirement emprisonnée dans un corps aussi corruptible que corrompu, s’est vu renforcé par la dichotomie d’une immatérialité individuelle destinée, une fois libérée des turpitudes terrestres, à une immortelle contemplation de l’Eternel.  La nature purement spirituelle de cette vision béatifique rend quelque peu redondantes, pour dire le moins, les retrouvailles de l’esprit avec son enveloppe charnelle.  Cette idée aussi inédite qu’excentrique de la tradition occidentale, suite à l’expansionnisme historique de la civilisation chrétienne et sa consécration contemporaine par une mondialisation qui s’ignore comme une occidentalisation de tout le monde, s’est vue imposée, entre autres, sous forme des Droits de l’Homme. 
Initialement réservés aux seuls hommes censitaires (Aristote ayant douté de l’humanité des esclaves et Thomas d’Aquin retardé celle des femmes), ces droits sont restés foncièrement individuels – le droit des Peuples n’étant que faiblement analogique à celui des personnes et le droit du non humain (de l’animal au minéral en passant par le végétal) n’étant que purement allégorique.  Ce sont les hommes et eux seuls qui, de leur naissance jusqu’à leur mort, peu importe leur situation sociohistorique, auraient identiquement le même droit, à titre individuel, d’être traités comme fin en soi et non pas comme purs moyens et de voir ainsi leurs besoins naturels réalisés.
Je ne suis pas le seul (Singleton 2000) à stigmatiser le caractère ethnocentrique de certaines philosophies et pratiques des Droits de l’Homme et proposer des approches alternatives (Pannikar 1999).  Il est clair que la vie en commun deviendrait vite invivable sans un minimum de consolidations conventionnelles. On imagine la tête du policier qui, ayant surpris Parfit en flagrant délit, l’entend dire que ce fut un autre que son moi présent qui avait parqué sa voiture sur un parking réservé à des handicapés !  Mais je ne vois pourquoi un accord quant à l’identité de l’humain, légalement conventionné suite à une discussion démocratique à la Habermas, serait moins à même d’éviter des dérapages du genre Auschwitz qu’une définition à base d’une ontologique dogmatique.
Rien de plus illustratif de cette égologie essentialiste qui rend toute altérité absolument accessoire que l’individualisme contractualiste à base de notre (néo)libéralisme triomphant. De Rousseau à Rawls en passant par Renan il n’est plus question de la dualité primordiale, représentée par les (r)apports entre  Adam et Eve (certes asymétriques, mais non moins constitutifs), mais uniquement d’un Premier Homme  qui, en principe, aurait pu « tirer son plan tout seul comme un grand » (si on me permet un belgicisme aussi éloquent qu’évident).  Les hommes qui lui ont succédé se sont rendu compte à leur tour qu’ils avaient tout intérêt à entrer en relation contractuelle avec d’autres acteurs individuels et à entretenir cette relation tant qu’elle permettait à chacun d’avancer sur son propre chemin. Au cours des siècles on a tenté de rectifier ce tir exclusivement et essentiellement égologique.  Mais même le personnalisme d’un Mounier fut toujours teinté par une tradition culturelle toujours axée sur la facilitation du parcours d’une seule et même personne du début jusqu’à la fin terrestre ou céleste.
Passant maintenant à d’autres peuples (ou périodes), je dois battre ma coulpe. Ancien missionnaire, puisque les païens finissaient toujours par me convertir, ce qui n’était pas prévu par le programme, il se pourrait néanmoins que je risquais de faire plus de dégâts chez les WaKonongo en préconisant pratiquement mon idée de l’homme qu’en prêchant pour un Dieu plutôt théorique. (Puisque de Dieu (même à supposer avec certains théologiens qu’il ne soit pas mort) on ne sait rien, c’est ce qu’il faut entendre par « homme » qui devrait faire problème pour ceux qui croient au dogme de l’incarnation.)  Il y a des impérialismes anthropologiques qui s’ignorent. Car non seulement les WaKonongo ignoraient-ils tout de mon transcendant théologique, ils n’avaient surtout rien à faire avec mon anthropo-logique étriquée.  En effet, comme la plupart des peuples non occidentaux, leur logique humaine était autrement plus complexe et sophistiquée que la nôtre à base du dualisme simpliste (gréco-latin) entre matière et esprit et de la dichotomie puritaine (judéo-chrétienne) entre corps (terrestre) et âme (céleste).  Quand, ayant vu dans nos musées ethnographiques les accoutrements (peaux, sabots et autres griffes) faits de main d’homme des prétendus « hommes-lions », j’ai essayé de leur expliquer qu’Homo sapiens ne pouvait jamais se métamorphoser en Leo panthera, ils m’ont fait comprendre qu’ayant entendu depuis des temps immémoriaux par mtu et simba des choses intraduisibles par notre « homme » et notre « lion », il n’y avait pas d’incompatibilité entre les deux (Singleton 1989).  Si l’habit ne fait pas le moine chez nous, chez les WaKonongo la peau vous transformait en fauve.  Malgré que les études classiques et exégétiques qu’on m’avait fait faire, m’avaient familiarisé avec des notions d’une rationalité raisonnée (Vernant : 1996) ou révélée (Boman : 1960 ; Jousse : 2008) de l’humain qui ne chevauchaient que marginalement avec celles courantes dans la modernité occidentale, il m’a fallu du temps pour me rendre compte que l’homme konongo était encore plus éloigné de mon humanité à moi.  Ce que mes interlocuteurs m’ont dit à la fois des pratiques infanticides (Singleton : 2004) et du respect cérémoniel pour les anciens (vivants ou « morts » et de toute façon mal compris comme « culte des ancêtres » Singleton : 2013b), a fini par faire tilt dans ma tête : à proprement parler seul le vénérable vieillard méritait à leurs yeux l’appellation culturellement contrôlée d’homme enfin parfait.
A Louvain, un stagiaire burkinabé est venu dans mon bureau me dire un matin d’hiver « je suis mon grand-père ».  Malgré mes années d’Afrique, j’ai compati en lui disant qu’au vu  du temps qu’il faisait en Belgique et la froideur apparente de ses habitants, je comprenais qu’il avait la nostalgie de la chaleur, entre autres humaine, de son pays.  Il rétorqua que je n’avais rien compris, qu’aujourd’hui il était son grand-père car à sa naissance il avait l’oreille droite tordue comme son aïeul qu’il n’avait jamais connu de son vivant. Il m’expliqua que l’anthropo-logique de son ethnie comptait jusqu’à neuf parties constituantes de l’identité humaine.  Je lui ai quand même conseillé de ne rien dire au directeur du programme, étant donné qu’en Europe quelqu’un qui se prenait aussi pour Napoléon risquait de se retrouver enfermé et sujet à des soins psychiatriquement intensifs destinés à rendre sa personnalité moins multiple.  Il m’est arrivé souvent de contraster notre notion de la nature humaine avec celle nettement plus restreinte des Asmats de la Papouasie, pour qui déjà les voisins sont de simples comestibles et celle autrement plus large des Jaïns, pour qui les insectes sont dignes du même respect que celui dû à des humains.  Dans la plupart des cultures qui connaissent des camps d’initiation, à leur  retour les initiés ne reconnaissent pas plus les leurs que ceux-ci ne les reconnaissent.  
Bien qu’on n’en ait pas toujours tiré les leçons anthropo-logiques qui s’imposent, tout cela est tellement connu que je n’y insiste plus – il a fallu surtout insister sur le caractère, tout aussi culturellement circonscrit, de l’idée de l’homme au cœur de notre pratique anthropologique du monde.  Pris par ses inventaires et analyses de l’interculturel, l’anthropologue n’a pas toujours le temps et peut-être même pas le devoir de suivre le débat entre philosophes occidentaux sur l’identité individuelle. Par contre, ce qui fait plus problème, c’est que peu d’anthropologues paraissent relativiser leur propre logique humaine de la même manière réfléchie qu’ils situent les anthropo-logiques des peuples qu’ils étudient. Puisque j’ai accordé au paysan sénégalais le même droit de préférer son « dog » à tout autre que celui consenti au prêtre catholique s’agissant de son « God » (Singleton : 1998), loin de moi l’idée d’interdire à un anthropologue l’idéalisation de l’intentionnalité individuelle à l’occidentale. Le tout est que le choix de ce qu’on estime relativement absolu soit fait en connaissance critique aussi bien de sa cause que de celle d’autrui.
Comme l’a dit celui que Mahomet considérait le plus grand des prophètes[1], la facilité consternante avec laquelle nous cernons la paille poussiéreuse dans le regard d’autrui contraste avec la difficulté congénitale à cibler les poutres qui pèsent sur notre propre vision des choses. C’est notre droit de rejeter sciemment l’anti-individualisme des philosophes et savants cités ci-dessus et d’opter clairement pour la vision conventionnelle de l’homme à l’occidentale.  Par contre, ce qui fait problème, c’est la non problématisation de l’enjeu. La prudence philosophique est une chose (« en attendant mieux, je fais comme si mon anthropo-logique représentait ce qu’il y a de mieux »), la paresse paradigmatique en est une autre. Les conséquences prévisibles d’un changement de cap conceptuel incitent instinctivement à enfoncer la tête dans le sable et, pour filer la métaphore ornithologique, notre enracinement ethnocentrique est souvent si profond que la perspective d’une reconversion radicale finit par nous glisser dessus comme l’eau sur le dos d’un canard. J’ai du mal à m’expliquer autrement le fait que des anthropologues puissent continuer à penser que tous les individus, peu importe la période où ils ont vécu et les peuples auxquels ils ont appartenu,  n’ont pas pu ignorer le fait que, du début jusqu’à la fin de leur existence, pour l’essentiel, ils étaient identiquement humains. 
… où l’arbre de vie cache une brousse buissonnante
Six millions d’années est l’espérance de vie accordée, par des spécialistes (Singleton : 2001) à un ensemble de vivants du gabarit morphologique et de la situation sociohistorique du nôtre. Peu importe le chiffre exact quand c’est la relativement longue durée versus la très courte qui est en jeu. Bien que sécularisé, le paradigme judéo-chrétien d’une imminence apocalyptico-eschatologique pèse encore de tout son poids sur l’anthropo-logique occidentale : « la santé pour tous en l’an 2000 », « la fin de la pauvreté au-dedans du millenium », « demain, tout le monde dans l’autre monde de Davos ou Porto Alegre et pour toujours ».  Un schéma pourrait illustrer cet enjeu chronologique et ses retombées anthropologiques.
L’ensemble de ce que l’Occident allait appeler l’Humanité démarre modestement à gauche à une date diversement déterminée par des cultures distinctes.   Il ne s’agit ni d’une espèce (au sens de la biologie classique), ni d’une essence (selon la philosophie pérenne), mais tout simplement d’un ensemble de singularités que notre culture contemporaine a pu regrouper de manière plausible dans l’espace-temps au vu de ce que Wittgenstein appelait leur « air de famille » - étant bien entendu que ces regroupements se font, justement, en familles culturellement distinctes (l’anthropogénèse konongo ne ressemblant en rien ou presque à la nôtre). Pour certains de nos paléoanthropologues, les premiers à jouir de cette ressemblance conventionnelle auraient vu le jour il y a grosso modo trois millions d’années. La continuité conique de la partie gauche du schéma risque d’induire davantage en erreur que la courbe des âges.  En réponse à des variations climatiques, il y a eu dans la préhistoire des seuils et des sauts critiques tant au niveau de la configuration corporelle que de l’organisation en culture (autant sinon plus de différenciations diachroniques que les différences synchroniques entre des primates existants). J’ai choisi de représenter un seul de ces seuils sans doute parmi les  plus critiques, celui traversé il y a +/- 30.000 ans avec l’apparition d’Homo Sapiens et l’essor de la pensée symbolique, sinon le parler tout court. Il est représenté par la première ligne verticale, la seconde représente l’apogée de l’an 1900 de notre ère où se terminent le tour du monde et l’inventaire par l’Occident de ses innombrables ressources matérielles, mais aussi de ses réalisations socio-culturelles. Il y a des cultures monothéistes et monogames, des cultures polythéistes et polygames, des cités démocratiques et des royautés sacrées, mais aussi des cultures sans dieu, ni mariage, ni chef. 
Si, à la suite de ce clivage culminant, des flèches descendent rapidement vers nous et l’an 2000, c’est que, loin de devoir être promue sous forme d’un pluralisme positif et permanent, cette pluralité phénoménale paraît répréhensible à certains esprits occidentaux ou occidentalisés pour qui Dieu n’aurait voulu qu’une seule religion révélée et le Destin qu’une unique raison naturelle.  De toute façon, que ce soit avec ses raisons ou ses regrets, l’Occident voit cette diversité comme destinée à disparaître très bientôt sous l’impact de la Révélation et/ou de la Raison.   Avant que tout le monde ait eu la santé en l’an 2000, pour Fukuyama la chute du mur en 1989 marquait déjà la Fin de l’Histoire et le triomphe à tout jamais de l’Humanité néo-libérale.  L’anthropogénèse aurait dit son dernier mot dans l’Homme égologiquement intéressé par sa seule personne (Rawls), capitalistico-consumériste (Milton Friedman) et rationalistico-scientiste (Sokal et Bricmont). Cette vision myope qui voit l’essentiel se réaliser dans l’immédiat et s’épanouir à l’avenir de manière purement accidentelle est contredite par la probabilité scientifique que l’ensemble continue encore pour trois millions d’années, traversant autant de seuils que de par le passé, mais accomplissant des sauts autrement plus décisifs.  En effet, il y a fort à parier que le futur s’ouvrira toujours davantage sur un inédit de plus en plus inventé du dedans par ses acteurs qu’imposé du dehors par les circonstances.
Les flèches qui continuent vers le haut, ou qui convergent après le temps présent, font miroiter une fin en apothéose grandiose ou en disparition discrète d’ici trois millions d’années.   Du côté non plus de son origine in illo tempore, mais de la fin prévisible de l’Humanité, les biologistes prévoient  une bifurcation qui n’est pas sans rappeler celle dont parlaient les théologiens. Pour ces derniers, en écho à un thème biblique qui débute avec Noé, un petit reste de rescapés iront, lors du Jugement dernier (recodé par Teilhard de Chardin comme le point Omega), rejoindre une poignée de prédestinés vivre pour l’Eternité en purs esprits contemplatifs, laissant définitivement choir ad inferos une massa damnata, la grande masse des damnés qui ne figurait pas sur le short list divin ou qui n’a pas su saisir sa chance de salut.  Pour les biologistes, ou bien l’espèce, à l’instar des dinosaures devenus des oiseaux, se transformera au point de n’être plus reconnaissable comme humaine (de toute façon d’ici à trois millions d’années, l’homme sera physiquement encore plus différent de nous que nous le sommes de Tumaï), ou bien elle disparaîtra tout simplement de la surface de la terre comme la plupart des espèces avant elle (tout doucement ou d’un seul coup catastrophique – après son big bang initial, le cône à droite s’épuise en big crunch terminal).


Les (paléo)anthropologues connaissent des représentations schématiques de l’anthropogénèse dont la plupart, au lieu de descendre comme la caricature vers la décrépitude terminale, monte pour s’arrêter net sur l’homme moderne dressé debout à tout jamais dans toute sa splendeur bipède. Le même arrêt absolu sur image actuelle affecte des images graphiques de la cosmogénèse elle-même. Je pense en particulier à ces dessins qui étalent sur 365 jours le temps écoulé depuis le Big Bang jusqu’aux quelques secondes avant minuit le 31 décembre où l’Homme entre en scène pour couronner la clôture de l’année. Rien de plus inconsciemment ethnocentrique que le sourire narquois.  Malgré le fait que l’homme occidental tend à naturaliser l’idée surnaturelle pour ne pas dire surréelle de la nature humaine qu’il s’est faite dans sa culture, il continue à sourire en apprenant que des Primitifs, en se présentant comme des Asmat ou des Inuit, ne livraient pas leurs éponymes ethniques, mais se représentaient comme les hommes tout court.   Nous sourions aussi en lisant qu’un évêque irlandais en 1658 avait fixé le moment de la création au début de la nuit qui avait précédé le 23 octobre en l’an 4004 avant le Christ… pourtant le fait que peu de nos contemporains qui contemplent la Vie en douze mois symboliques se demandent ce qui arrivera le premier janvier ou le 12 mars de l’année suivante, risque de faire sourire davantage encore des générations à venir.
Ces générations auront sans doute et à juste titre pris en main pas mal des forces évolutives qui nous ont poussés dans le dos jusqu’ici.  Se retrouvant matériellement, moralement et métaphysiquement sur des planètes tout autres que la nôtre, elles risquent de se demander comment nous avons pu imaginer que les périodes et les peuples qui s’étaient succédé depuis Lucy ne représentaient que des variations superficielles sur un seul et même thème humain. A la limite, quand la création d’Adam et Eve ne datait même pas de 5000 ans avant le présent, il était encore possible d’imaginer que grâce à des progrès culturels, les hommes avaient fini par mieux subvenir aux besoins naturels que le premier couple s’est trouvé condamné à satisfaire à la sueur de son front… mais est-ce encore plausible de penser à l’éclosion d’essentiellement la même espèce quand ses origines datent de plus de 3 millions d’années en arrière ? Ce qui paraît sûr,  c’est que les changements aussi accélérés que radicaux qui s’annoncent (notamment dans la compréhension et le contrôle du cerveau) permettront à nos descendants de mieux se rendre compte du caractère inédit des transformations de l’humain suite à ses traversées incessantes d’une série de seuils critiques irréversible. 
Dans mes jeunes jours, si on ne cherchait plus le crâne d’Adam comme certains espèrent encore localiser des vestiges de l’arche de Noé, le débat autour du  monogénisme faisait encore rage.  Dans mes vieux jours, ce qui m’étonne c’est que le fait de pouvoir envisager sereinement le polygénisme n’a pas encore rétroagi sur une logique humaine restée paradigmatique en anthropologie même.  Au lieu de voir que le Flux fuit en avant de singularité en singularité (même si, pour en sortir, le vivant doit se fier pour un temps à des semblances de substantialité), nous continuons à penser qu’une fois émergée et établie, une Mêmeté, pour l’essentiel, ne fait que s’éclore semper idem.  Un simple schéma peut camper cette bifurcation primordiale puisque paradigmatique, entre « identiquement le même » et « le toujours autre ».









A gauche, suite à des transformations évolutives (de triangle en carré, l’inanimé devient animé et le vivant marin un animal terrestre), l’Humanité (représentée par le cône) apparaît à un certain moment dans toute sa splendeur substantielle pour connaître, au cours de la Préhistoire et de l’Histoire, des agrandissements et des améliorations accidentelles (les cercles du cône) jusqu’à atteindre, avec notre Modernité techno-scientifique, une apogée qu’on ne saurait plus dépasser si ce n’est ad infinitum dans le même sens. Pour un esprit moderne, la postmodernité est un oxymore puisqu’il ne peut pas plus y avoir un « après » de la Raison humaine que pour le croyant chrétien (ou musulman) une autre Révélation divine. La diversité historique – polythéisme versus monothéisme, polygamie versus monogamie, démocratie primitive versus royauté sacrée etc. – n’est que la dimension culturelle d’un « être » humain substantiellement le même à travers le temps et l’espace. Les faits culturels sont autant de rebricolages d’essentiellement les mêmes éléments naturels tels que le besoin d’habiter et de manger, ou encore de gérer la sexualité et la violence. 
A droite sur le schéma, si les singularités irréductibles se succèdent à travers des ruptures de continuité irréversibles, elles ne montent pas en suivant un Sens Unique. Si elles ne partent jamais de rien, elles ne vont nulle part en particulier.  Il y a progression, et non Progrès, des avancées ponctuelles, mais non pas une Arrivée décisive. Au contraire de la route royale des substantialistes sédentaires qui mène inexorablement vers la Cité définitive (celle du Ciel, mais aussi celle des Sciences ou de Porto Alegre), le parcours du nomade nominaliste n’est pas fléché : ni point de départ ni point d’arrivée, mais des étapes « essentiellement » différentes, un aller de l’avant sans fin, venant de nulle part en particulier et destiné, du moins selon Heidegger, à finir dans le décor comme un sentier forestier (Holzweg). Le fin fond du schéma, donc, est d’ordre chronologique : pour finir, quelle est la portée de l’inédit venant après les acquis du présent ? Quel est le poids définitif du préfixe « post » dont les observateurs parlent de plus en plus – le post-industriel, le post-développement, le post-religieux, le post-scientifique… ? Est-il purement métaphorique, renvoyant à des réformes conséquentes d’institutions et d’idéologies mais qui gardent intact l’essentiel de leur identité intentionnelle, ou bien est-il radicalement révolutionnaire, indiquant une métamorphose « si considérable que l’être ou la chose qui en est l’objet n’est plus reconnaissable » (Petit Robert)?  Sans croire que l’Evolution équivaut à la gestation de l’Esprit, on peut penser que l’Aufhebung hégélien signifiait la suppression et non pas la sublimation de la substance des configurations anciennes.  Les triangles, les carrés, les cercles sont autant de lieux dont les logiques et les langages peuvent se chevaucher en marge, mais dont le milieu représente à chaque fois des Choix de Sociétés incompatibles.  En quittant un lieu (triangulaire) pour un autre (carré) non seulement aura-t-on affaire à un langage inédit (les discours religieux ou politiques, par exemple, en lieu et place des parlers non religieux et non politiques), mais même à une logique humaine tout autre.  L’Homme de  Cro-Magnon et l’Homme de la Renaissance, l’Homme moderne et l’Homme numérique – ces titres de tomes sériés publiés dans la plupart des cultures européennes renvoient non pas à des rééditions revues et corrigées d’une édition originale, l’Homme tout court,  mais à chaque fois à un Homme nouveau intrinsèquement inédit.
Des périodes aussi significativement distinctes que des peuples donnent naissance à des ensembles humains inédits dont l’espérance de vie, à l’instar de toute existence individuelle, est limitée dans l’espace-temps. Les hommes qui ont survécu  au déclin et à la chute de l’Empire Romain pour reprendre le titre de Gibbon (1776), n’étaient pas identiquement les mêmes que ceux qui l’avaient vécu. A moins de l’identifier à un noyau dur que seule une pathologie adventice pourrait fracturer, personne ne sort intact, indemne, foncièrement inchangé de pareil événement. Certains, invoquant la différence générique établie par Ricœur entre névrose et psychopathologie, pourraient prétendre qu’une chute de cette magnitude est totalement hors norme. Personnellement,  je préfère y voir non un cas hors limite, mais le cas limite de ce qui se passe à tout moment de notre vie, même si la plupart du temps nous ne sommes pas à ce point conscients de l’impossibilité de remettre le pied dans le même fleuve.
Je ne peux me permettre ici que deux brèves allusions ici à un tas de phénomènes qui me pousse ainsi à « essentialiser » l’épithète et à désubstantialiser l’essentiel dans le genre d’expression « l’Homme préhistorique », « l’Homme romain » et « l’Homme moderne ».  Il y a d’abord cette prise de conscience récente de l’impact de la technologie sur l’identité humaine. Soit on continue de penser que c’est le même Homme qui a commencé à casser des cailloux, à mécaniser le monde et à se servir d’un ordinateur, soit on prend plus au sérieux sinon à la lettre, la thèse de la prothèse comme productrice de nouvelles humanités (Marchesini : 2009). Un exemple parmi mille de la rétroaction radicale du matériel sur le mental : à moyen de communication nouveau, révolution sociétale inédite.  En tant qu’innovation récente, la presse écrite a joué un rôle crucial lors du Risorgimento (Villari 2012 : 137).  Les transistors, puis les réseaux sociaux représentent-ils la simple reprise de la presse dans le contexte des indépendances africaines et des printemps arabes, ou ne représentent-ils pas plutôt des seuils critiques, responsables de réalités inconnues jusqu’alors? Il fut un temps où les archéologues croyaient avoir sinon tout dit, du moins avoir campé l’essentiel en cataloguant les artefacts découverts comme, par exemple, « os bovin » ou « morceau d’instrument musical ». Car leurs contemporains ethnographes se contentaient de décrire la simple matérialité des choses employées par les indigènes. Or, depuis qu’on a compris que des objets n’ont tout leur sens spécifique qu’en tant que projets particulier de sujets assujettis à un Projet Global (Singleton : 2004 premier chapitre), les choses ont changé aussi bien en archéologie (Olivier 2011 : 188sq) qu’en anthropologie. Pour les Nuer, ce bœuf-ci n’est pas un spécimen d’une réalité naturelle en principe universellement reconnaissable comme la race bovine, il est l’incarnation vivante, le sacrement même d’un arrangement matrimonial. Pour Jakobo Kasalama, mon hôte chez les WaKonongo, le tambour que je l’ai vu fabriquer pour un vieil ami « sacramentalisait » leur amitié (ex opere operato, « par le fait même»). Gare donc à l’illusion d’optique objectiviste qui nous incline à prendre le bovin et le tambour (des abstractions analytiques) pour des choses à 90% transculturellement identiques, n’étant colorées qu’à 10% et après coup, par des considérations culturelles plus ou moins respectueuses de leur réalité naturelle. A l’instar des chiens dakarois (Singleton : 1998), le bœuf nuer et le tambour konongo sont d’emblée et d’office des réalisations culturelles – produites par mais productrices de l’Homme nuer et de l’Homme konongo. 
Ensuite il y a le fait général qu’en changant d’échelle on change d’essence.  Ce qui vaut en socio-logique me paraît devoir s’appliquer tout autant en anthropo-logique.  Sociologiquement parlant, aujourd’hui les grandes églises chrétiennes n’ont en commun que le nom avec les modestes mouvances sectaires des origines.  D’une simple association volontaire (universitas) entre des clercs vagabonds du Moyen âge, l’université s’est transformée en véritable Cité au service universel de l’Homme – quand, foncièrement inféodée non seulement à la société de consommation capitaliste mais à la dichotomie occidentale entre Nature et Culture, elle ne fait, entre autres, qu’imposer à tout le monde son opposition entre sciences naturelles et sciences humaines et sa distinction entre théorie fondamentale et applications pratiques.   Notre université (y incluse une certaine anthropologie) font partie intégrante et désintégrante d’une occidentalisation certaine du monde (Singleton : 2003).   Bien qu’il ne puisse l’être que provisoirement, tout ordre gagnant imagine à la fois que sa victoire était dans l’ordre même des choses et qu’elle consacre définitivement le potentiel de ses débuts coniques.  Mary Douglas (1974) fut parmi les anthropologues qui avaient clairement vu tout ce qui peut séparer idéologiquement et institutionnellement des milieux modestes  (représentés par une bande pygmée ou une commune hippy) des macro-lieux autrement plus  complexes et conséquents (tels qu’un village bantou ou une banlieue bourgeoise).  Ce qu’à mon humble avis elle n’avait pas tout à fait compris, c’est que les distances sociologiques (synchroniques ou diachroniques) entre des triangles et des cercles étaient responsables d’humanités aussi incompressibles qu’incompatibles.  Si, dans un sens, des Pygmées et des hippies sont humainement semblables, ils ne sont pas des hommes au même sens que le bantou ou le bourgeois le sont.
Tout bourgeois qu’ils étaient, pas mal d’auteurs occidentaux (Singleton 2012), emportés par les évidences empiriques, se sont exprimés en des termes qui épousent de près le discontinu, le hapax, le singulier, l’idiosyncrasique, l’insolite, l’inexplicable incarnés par la figure de droite de notre schéma.  Il se peut que la plupart de ces autorités n’aient pas voulu parler littéralement, mais tout au plus métaphoriquement des métamorphoses qui les ont impressionnés. Il n’empêche qu’on peut être tenté de les prendre à la lettre.
En mettant en italiques des mots clefs, je ne pense pas trop trahir, par exemple, ce que Polanyi avait en tête en écrivant que : « la production mécanique dans une société commerciale suppose tout bonnement la transformation de la substance naturelle et humaine de la société en marchandise » (1983 : 70).  C’est un constat qu’aurait partagé mon hôte konongo, Jakobo Kasalama, forgeron à ses heures, qui, s’il s’était trouvé en usine, aurait sûrement eu l’impression qu’en changeant de condition il avait changé d’identité humaine.
Pour M.Volle, un économiste qui a inventé le néologisme « iconomie », l’informatique représente une troisième révolution industrielle qui, en transformant à fond le système productif, a « modifié la nature elle-même » (Le Vif, 22.02.2013 p.35). Il aurait pu et dû continuer sur sa lancée en ajoutant que la nature humaine aussi s’est retrouvée métamorphosée par cette même révolution. C’est un fait que les innovations non seulement reflètent les intentions de leurs inventeurs, mais aussi rétroagissent sur leurs utilisateurs. En passant d’un mode de production à un autre, l’homme lui-même ne fait-il que se reproduire à l’identique ?  L’audio-visuel interactif, les toujours nouvelles générations d’ordinateurs, de gsm et autres ipods qui se succèdent à un rythme de plus en plus accéléré, ne sont-ils que de gadgets matériels qui ne modifient en rien des modes d’êtres humains ? 
Ce qui est sûr, c’est que chaque culture ayant sa définition de l’humain, des problèmes surgissent lors des premiers contacts interculturels avec des êtres aux apparences humaines. La solution, toujours asymétrique, n’était pas toujours, loin s’en faut, des plus humanistes et humanitaires ! Qu’on se souvienne du cas tristement célèbre des Tristes Tropiques : les Conquistadores massacrant des Indiens pensant avoir affaire à des bêtes, et les Indiens faisant mourir des Espagnols croyant qu’ils auraient pu être des dieux ; de la disparition des indigènes de la Tasmanie ou de la Terre de Feu ; qu’on pense non seulement aux Blancs et à leur traitement inhumain des Noirs d’Afrique, des Peaux Rouges des Amériques et même des Chinois de Chine (pour ne pas parler des Juifs de l’Europe), mais aux agriculteurs bantous refoulant des chasseurs cueilleurs ou aux guerriers Maoris génocidaires des pacifiques Moriori (Diamond 1999 : 53-57). Extraversion empirique sinon matérialisme historique oblige, nous sommes indignés à juste titre par des rapports de force déséquilibrés qui permettent aux dominants de spolier les dominés de leurs ressources « naturelles ».  Néanmoins, à la longue, c’est le pillage de l’identité d’autrui, entre autres par l’Homme chrétien ou le Capitaliste civilisé (Singleton : 2007), qui représente la plus littérale des déshumanisations. Mon ami Latouche a peut-être plus raison qu’il ne l’imagine : loin d’être la forme définitive de l’Humanité, l’Homme développé est un anthropophage en train de dévorer tout ce qui n’est pas occidental ou occidentalisable. L’Homme de la postmodernité occidentale, ayant enfin compris qu’il y a des limites à la croissance et qu’il faut mettre fin à l’explosion démographique, semble avoir ainsi renoué avec certains philosophies et pratiques « primitives ». Néanmoins, il y a toute la différence au monde entre, d’une part, se rendre compte qu’on a intérêt à gérer durablement des ressources dites « naturelles » et contrôler les naissances, et, de l’autre, se comporter en simple usufruitier de la propriété d’un autrui ancestral et agir comme si les vivants visibles ne représentaient qu’un pourcentage d’un numerus clausus d’âmes humaines.   
Face à ce genre de phénomène (car l’inventaire pourrait être prolongé indéfiniment), j’ai du mal à comprendre que des anthropologues puissent encore traiter l’altérité culturelle comme une altération accidentelle d’une nature humaine inchangée depuis son apparition. L’autre n’est pas seulement autre parce qu’il ne se marie pas comme vous ou ne croit pas en votre Dieu, il l’est parce qu’il est autrement humain que vous. Les vivants auront beau avoir affaire aux mêmes données (externes ou internes), ce qu’ils en font les rend foncièrement différents aussi. Les Pygmées, Patagons et autres Postmodernes peuvent être regroupés pour les besoins d’une analyse abstraite à l’occidentale dans un casier global étiqueté « humain », mais « when all is said and done », chaque Pygmée, Patagon et Postmoderne est avec les siens tout autre que les autres « humains ». 
L’Homme Nouveau arrive
Je ne suis évidemment pas le premier à tenir un discours sur l’éventualité ou l’existence d’un homme nouveau. Les utopistes, millénaristes et autres altermondialistes, qu’ils soient d’inspiration religieuse ou non, rêvent tous d’une humanité au moins renouvelée sinon nouvelle. Au vu de ce que l’homme fut (au Paradis ou à l’état de nature), ils projettent ce qu’il devra être et sera dans la Jérusalem céleste ou à Porto Alegre sur terre. Les néophytes des sectes à mystère, dont les premiers Chrétiens, se sentaient devenus des hommes nouveaux et, aujourd’hui, des Hari Krishna et  des « born again Christians » se voient renaître des cendres d’une nature peccamineuse. Les gourous orientaux, férus de yoga, cherchaient non seulement à surmonter la condition humaine, mais voulaient « créer un homme nouveau et de le créer sur un plan supra-humain, un homme-dieu, tel qu’il n’était jamais venu à l’imagination de l’homme historique de pouvoir en créer » (Eliade 1949 : 234).
(Mal)heureusement, ce genre d’humanité idéalisée tarde à venir autant que la Fin du Monde.  « Faute d’outres aptes à recevoir le vin nouveau », disent les rêveurs révolutionnaires – non sans raison car « à homme nouveau,  organisation nouvelle ».  Il se pourrait même que l’Homme nouveau doive répondre, comme l’aurait dit Levinas, à un Infini inédit.  Pour certains le Web, fonctionnant de façon autonome, fait déjà figure d’un Tout auto-poïétique un avatar actualisé du divin en devenir de Whitehead !   
Des esprits plus réalistes, sans renoncer à l’espoir de voir arriver un jour un homme concrètement nouveau, pensent qu’il sera toujours sujet à une logique humaine abstraite et donc susceptible d’analyses proprement anthropologiques.  Prémoderne avec Lévy-Bruhl, Moderne avec Touraine,  ou Postmoderne avec Marchesini, l’homme sera toujours tiraillé entre le moral et l’immoral, devra toujours naviguer entre le Charybde d’une égologie égotiste et le Scylla d’une allologie aliénante, et il n’y a pas de raison de penser que ces actions soient suivies de moins d’effets imprévus et pervers que les nôtres.  Quand les grilles d’analyse ne changent pas, peu importe que ce soit l’ancien ou le nouveau qui se trouve sur le gril.
Les petites mains de la Main Invisible escomptaient, avec Fukuyama, que le Marché mondialisé enfanterait l’homme définitif des derniers temps, mais l’humanité s’est vue mise austèrement au chômage au Nord (60% des jeunes Grecs sans activité sensée) et exploitée de manière éhontée au Sud (plus de 1000 travailleuses mortes dans l’incendie de leur bagne industriel au Bangladesh.) Bien naïf serait le prophète qui prédira que les maîtres de la Méditerranée, tout mutants qu’ils soient, auraient moins de morts noyés sur leur conscience que leurs prédécesseurs actuels.  Tôt ou tard, les coûts cachés des avancées technologiques devront être payés.  Après la guerre, l’introduction de la machine à lessiver, en libérant les paysannes de la corvée collective du lavoir communal a augmenter le taux de dépressions suicidaires parmi les femmes isolées.  Chaque académique devant désormais taper ses propres textes, la convivialité du secrétariat départemental est passée à la trappe.  Les objets répondant toujours aux projets particuliers des sujets d’un Projet Global, en cas d’un Choix de Société inédite, sa logique (in)humaine devrait être autant au cœur des anthropologies de demain qu’elle ne fut la cible  des approches de l’anthropologie d’hier.  Pourtant, inconsciemment consentants à la dichotomie établie par leur philosophie pérenne entre l’essentiel et l’accidentel, pas mal d’anthropologues occidentaux continuent à opposer la neutralité substantielle des choses à leur bon ou mauvais usage second.  A l’instar de la magie qui ne deviendrait blanche ou noire qu’après coup, l’informatique serait en elle-même intrinsèquement innocente.  Or la plupart des cultures non-occidentales savent pertinemment bien que les faits proprement humains valent d’emblée et d’office pour le bien ou le mal.  L’homme n’a pas inventé par hasard une hache (ou un ordinateur) pour se demander ensuite ce qu’il pourrait bien en faire. Les rapports humains des habitants du Village nouveau qui se globalise de notre vivant grâce à l’informatique seront-ils forcément moins inéquitables que ceux de nos villages anciens ? 

En outre, même si nous avons du mal à imaginer ce que seront de fait les innovations idéologiques et institutionnelles qui s’annoncent pour demain, il y a fort à parier que l’asymétrie qui les accompagnera inévitablement ne soit pas plus acceptable que celle qui détermine de nos jours les rapports entre dominants et dominés. Foncièrement éthique, la fracture numérique n’est qu’accessoirement économique – pour en venir à bout, une révolution morale s’impose plus que des remèdes matériels. 

Déjà trahi par la commercialisation du sport, Homo ludens sera-t-il mieux traduit demain par les jeux vidéo ? Même à supposer que le divertissement informatisé ne soit purement pascalien ou créateur de cyberdépendance, il y a lieu de se demander pour quoi et pour qui il programme les joueurs mordus? Le virtuel aura beau questionner le réel, le risque d’irréalité est bien réel.  Il n’est pas dit que la virtualisation du corps humain le rendra automatiquement plus vertueux.  Electronique n’est pas synonyme d’éthique ni informatisé d’impliqué.

Si certains inconvénients éventuels du nouvel âge informatique me viennent davantage à l’esprit, c’est que mon ignorance de l’« e-terrain » familier à la plupart des participants à la chaire (dont surtout Boellstorff (2013) mais aussi d’autres comme Laplantine 2012 ou les contributeurs à Anthropologie et Sociétés 2011), me rend incapable d’imaginer ses bénéfices.  Néanmoins, une possibilité m’impressionne en particulier puisqu’elle met aussi le doigt sur un enjeu crucial. Jusqu’ici les prothèses, même informatisées, ont remédié aux déficiences d’une minorité défavorisée. Que demain, incorporée littéralement, l’informatique puisse augmenter le potentiel de tout le monde, me paraît constituer un pas en avant aussi porteur que le premier outillage lithique.  Par contre, parler  de cet empowerment en termes de métissage ne paraît pas être à la hauteur de sa portée prospective. D’abord, puisque l’idée d’une pureté primordiale à préserver ou à promouvoir représente une chimère dangereuse : être humain, c’est naître mélangé.  Ensuite et surtout parce qu’à l’encontre d’une hybridation qui ne ferait que juxtaposer deux réalités encore identifiables dans le résultat, l’« avant », puisque totalement transformé, n’est pas repris de façon substantiellement reconnaissable dans le « post » que j’ai en tête.  N’étant pas une réédition simplement revue et corrigée, mais intrinsèquement  inédit, « mon » Homme nouveau ne peut que faire figure d’un « transhumain » par rapport aux humanités qui l’ont précédé.  Néanmoins, à l’encontre de l’augmentation quantitative de nos capacités congénitales qui caractérise la plupart des cyborgs de la science fiction, pour moi l’Homme nouveau croît en qualité de vie et donc en humanité. 

Ce n’est donc pas que le futur me fasse peur. La seule chose que j’ai voulu et pu suggérer ici, c’est qu’à un lieu aussi inédit que celui du virtuel doivent correspondre le langage et la logique d’acteurs tout aussi inconnus aux bataillons d’antan.  Je sens pourtant tout ce qu’il pourrait y avoir de purement incantatoire dans cette invocation aux trois « l » qui ont informé mon approche anthropologique.  Si le « cyberspace » donne lieu à une humanité tout autre, alors cet ailleurs ne sera plus abordable en termes d’une topographie et d’une topologie du type euclidien.  L’observation participante était physiquement limitée à  des vases clos, à des champs clôturés, à des terrains limités.  Ne m’y retrouvant pas du tout, il se peut que je m’avoue trop vite dépassé[2] par l’espace électronique, en attendant je ne peux que me demander si les grilles d’analyse élaborées par mes maîtres à penser ainsi que les plans d’action de mes amis militants sont à la hauteur de ce qui se fait et se fera toujours davantage dans le milieu virtuel. En la « matière » que peuvent dire encore des « sciences humaines » (Vidal de la Blache et la géographie humaine, Evans-Pritchard et l’espace Nuer, Hall et ses « proxemics » et même des philosophes tels que Heidegger, Husserl et Habermas avec leur espace existentiel, intentionnel et communicationnel) et que peuvent faire des activistes qui défendent le droit à l’existence des paysages ou qui ne jurent que par le retour et le recours au local?  
Si ma génération pouvait passer physiquement d’un terrain à un autre, elle était loin de pouvoir imaginer que viendrait un jour où l’anthropologue travaillerait simultanément dans une multitude de sites (Marcus : 1995). Ne serait-ce qu’au niveau de la collecte et de la présentation de son matériel de terrain, l’anthropologue actuel, l’embryon de l’homme à naître demain, dispose d’une panoplie de moyens médiatiques auxquels le label hybride « audio-visuel » ne fait pas justice.  Ces genres plus que littéraires relativisent radicalement le compte rendu monographique d’antan.  Sans encore permettre l’  immersion intégrale représentée par les « feelies » du Brave New World (et que l’italien immedesimarsi rend à merveille), ils remplacent la réception passive du conçu que la lecture à froid permet, par une implication interactive dans le vécu. Gadamer & Cie avaient déjà affirmé que le lecteur, à juste titre épistémologique, comprend souvent mieux que l’auteur le sens d’un écrit. De lecteur de texte puis spectateur d’illustrations, le consommateur de matériel anthropologique est en passe de devenir régisseur – celui qui, selon le Robert «  organise matériellement les représentations ». « The medium is the message » !  Sans cesser d’être sensée, je sens que la communion avec le matériel anthropologique,à l’époque de la communication post-scripturaire, deviendra plus sensible sinon sensuelle. Car l’arrivée de l’homme nouveau se signale aussi bien par un profond changement de sensibilité que par une mentalité nouvelle. 
Un titre moins ethnocentrique pour cet essai et plus près de ce qui se passe aurait été « Hominisations inédites ».  Car  non seulement l’homme nouveau n’a jamais cessé d’arriver, il n’arrivera jamais si par « homme » on entend quelque chose d’essentiel, par « nouveau » quelque chose de mieux que l’ancien et par « arriver » quelque chose qui ne partira plus. De toute façon, et quoi qu’il en soit de ces songes d’un partant, l’Homme Nouveau in arrivo sera un singleton ou il ne sera pas!
PS : pour sucrer la pilule de l’inexistence de l’homme, pour la forme, je serais prêt à faire une concession (dato non concesso !) : il se pourrait qu’un jour l’anthropogénèse accouche d’une humanité commune..  Mais en attendant, il faut cesser de faire comme si nous savions déjà pour l’essentiel ce que  « être humain » signifiait – comme si, entre autres, il allait de soi que tout homme était doué d’intelligence et de volonté ou se devait de s’organiser démocratiquement en société et de croire religieusement à quelque chose.  Car vues de près ce genre de choses n’existent tout simplement pas ou si elles existent ne sont que les faits contemporains d’une certaine culture occidentale.

Bibliographie


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[1] Ce n’est pas de l’ironie irrévérencieuse, mais un renvoi au consensus qui se fait jour parmi les exégètes contemporains (Delwiler et Marguerat : 2008) sur comment l’homme de Nazareth se représentait et était représenté par les siens avant d’être promu Christ-Dieu par des conciles tardifs à la solde des Empereurs plutôt qu’en écho aux évidences empiriques (Vermes : 2012).
[2] Mais non dépité. Les réserves exprimées par certains au vu des éventuels effets pervers de l’informatisation du monde ne sont pas le fait de technophobes arriérés et les effets bénéfiques du Progrès le démentiront. Le choix des Recabites de rester nomades interpelle toujours des sédentaires, le refus des Luddites de se laisser faire par une industrialisation inhumaine était prophétique. Gras (2007) a montré que d’autres choix que celui du feu étaient possibles à l’aube de la Révolution industrielle et Fressoz (2012), que la peur des trains et de l’industrie chimique au même moment était loin d’être irrationnelle et injustifiée. In principiis obstat – c’est au début d’une ère nouvelle qu’il s’agit de bien naviguer entre le Scylla de ses chantres inconditionnels et le Charybde de ses détracteurs catastrophés.